Scènes

Echos de Jazz à L’Etage 2016, l’ouverture

Compte rendu de la soirée du mercredi 16 mars 2016 à l’Etage, à Rennes, en ouverture de la 7e édition du festival.


Médéric Collignon © Jean-François Picaut

Pour la première soirée de ce 7e Jazz à L’Etage, Yann Martin, le programmateur, est aux anges. Il le dit sans ambages, avec ce mélange paradoxal de soulagement et d’impatience qui marque un début de festival : cette soirée réunit des amis. Place à la rencontre entre deux figures françaises d’un jazz décomplexé, Pascal Contet et Médéric Collignon, fil rouge de cette édition, et un futur grand nom de la scène internationale, Eli Degibri.

Médéric Collignon et Pascal Contet

Si Pascal Contet et Médéric Collignon se connaissent et s’apprécient depuis de longues années, ils n’avaient pourtant jamais joué ensemble. C’est donc ravis que ces deux électrons libres aux larges personnalités, idées et techniques de jeu, ont répondu à cette « carte blanche ». Par conséquent, le lancement du festival brétillien se fait sous le signe de la liberté et de la complicité. Les deux personnalités, voire personnages, que sont Collignon et Contet préviennent d’emblée que le concert n’est balisé par aucun morceau, aucune setlist. Il durera 45 minutes et ne sera construit que par assauts spontanés. A la trompette, au cornet, à la voix, Collignon prend immédiatement la trajectoire verticale, pépie, gazouille, jacasse ; un bavardage volontairement taquin pour provoquer, une fois perché sur sa branche, la réaction de son partenaire. Contet rétorque fort à propos, monophone, à l’horizontale, par une lente ouverture du soufflet de son accordéon. Deux sens de l’approche.

Médéric Collignon et Pascal Contet © Jean-François Picaut

Les regards se croisent, les sourires percent, les jeux se superposent et les interstices nous happent. Cette course-poursuite au démarrage canon évite, heureusement, le piège de la saturation. Les rythmes lents, les répétitions et les nappes enveloppantes que Contet crée, contrôle, font une place de choix aux spectateurs, qui peuvent alors se laisser bercer. Le concert déborde finalement sur plus d’une heure teintée de malice, de perches et de mains tendues, de mélodies et d’harmonies reprises à l’autre au pied levé. Un très beau moment de détente que ce bain d’impro dans lequel nous ont plongés les deux musiciens.

Eli Degibri Quartet

Ma rencontre avec le saxophoniste israélien a lieu l’après-midi dans le cadre d’une entrevue accordée aux élèves de terminale, option musique, du Lycée Saint Joseph de Bruz, et leur professeur. Le collaborateur et ami d’Avishai Cohen, Brad Mehldau et autres stars de cette nouvelle scène internationale, doit d’abord répondre aux questions sur sa carrière. Elles sont vite éludées, rattrapées par les intérêts véritables de cet instrumentiste doué, reconnu par des mentors de renom, qui explique doucement quel est son seul moteur. Eli Degibri se voit comme un faiseur d’hymnes, de « chansons » – il lâche le mot – avouant que, rétrospectivement, ce sont les standards du jazz qui ont fait de lui un musicien, un homme de scène plus qu’un compositeur et un arrangeur – rôle qu’il tient bien sûr en coulisses, mais qui semble moins compter à ses yeux. Les regards des (jeunes) musiciens de l’assistance approuvent. Derrière les sourires, bonbons mâchés, mèches de cheveux retouchées et mains nerveuses ornées de bijoux bon marché, ils acquiescent et savourent leur chance. Tous attendent fébrilement le concert. Eli les a séduits.

Eli Degibri © Jean-François Picaut

Pour cette soirée, le saxophoniste offre à L’Etage le dernier concert de sa tournée, confirmant qu’entre lui et le programmateur, le coup de cœur a été réciproque. Yann Martin ouvre le ban, alors que les musiciens terminent à peine leur dîner, en présentant par le menu la musique de Degibri, ténor passé chez Herbie Hancock avant d’accompagner pendant dix ans le batteur Al Foster (compagnon de route de Miles Davis). « Une musique savante, libre comme l’air, qui infuse et contient toutes les autres ». C’est effectivement sur la note d’une rencontre entre passé et présent et l’infusion d’ingrédients et de saveurs contrastées, que l’on peut introduire le jeu de ce saxophoniste, âgé seulement de 38 ans. Porté par un dynamisme fringant, il arrive aujourd’hui sur scène en leader.

Depuis cette après-midi, le regard a changé. Position, attitude, sourire explosent, dès les premières minutes, pour démontrer la force d’un homme qui joue à fond de son charisme indubitable. Entouré de trois compères encore plus jeunes que lui, il s’élance dans une interprétation musclée des titres de Cliff Hangin’. « The Troll » se pare de nouvelles teintes en grande partie apportées par le pianiste Gadi Lehavi, jeune mais déjà grand complice de Degibri et véritable socle lyrique du son du groupe. Il porte tant les compositions que l’on s’étonne qu’il faille attendre 21 h 30 pour que l’ingénieur du son, averti, décide d’augmenter le volume du piano, parfois couvert par l’excès de zèle d’un batteur fougueux et inventif, mais aussi débordant.

Eli Degibri Quartet © Jean-Fançois Picaut

Ce seul bémol s’explique par le fait que la section rythmique du quartet ne comporte pas les « habituels » contrebassiste et batteur. Heureusement, l’implication, la présence respective de Or Bareket (b) et Eviatar Slivnik (dm) - à défaut d’une cohésion de tous les instants - est telle qu’elle pousse la technicité et la précision de leur leader polychrome. Lui, à genoux, en sueur, à la limite du trop démonstratif mais sans débordement vain, s’en donne à cœur joie, impressionne et cajole même avec un « Mambo » - trop sucré à mon goût -, demande avec humour « What Am I Doing Here », s’en va et revient pour deux rappels attendus, permettant à l’assistance d’atteindre quelques degrés supérieurs de bonheur. Une ouverture qui a tenu ses promesses.