Starlite Motel
Awosting Falls
Kristoffer Berre Alberts (as, ts), Jamie Saft (el org, g), Ingebrigt Haker Flaten (el bass), Gard Nilssen (electronics, perc, dm)
Label / Distribution : Clean Feed
Lorsqu’un trio scandinave et américain, composé de Jamie Saft aux claviers, proche et fidèle de Zorn, du contrebassiste Ingebrigt Haker Flaten, pilier de The Thing, et du batteur Gard Nilssen, reconnu pour ses performances époustouflantes au sein de Bushman’s Revenge, donne la parole au saxophoniste norvégien Kristoffer Berre Alberts et qu’en outre, ils baptisent cette rencontre du nom d’une cascade de 20 mètres (située dans l’état de New York), on est à peu près certain que l’écoute du disque va nous fâcher sérieusement avec nos voisins.
On s’attend à un mur du son, tant pis pour la porosité du mur mitoyen ; on va y aller à fond, se décrasser les oreilles. On attend la déflagration, la vague, solidement amarré(e) à son fauteuil. En fait, on attend ça avec impatience car on espère en obtenir davantage. On espère trouver dans cette matière sonore dense, les anfractuosités d’un souffle nordique et atlantique et, dans sa force, une poétique. Quelque chose qui recentre.
Gard Nilssen, à la batterie, prend clairement le pas. Il n’est pas étonnant de constater qu’il est crédité comme le principal compositeur de tous les morceaux du disque. Puis la seconde matière, sinueuse, est apportée par le clavier reconnaissable de Saft : venu d’Electric Masada et Masada string, il a déjà revisité Bob Dylan avec son propre trio. Il prend les choses en main et donne aux compositions effrontées des couleurs chatoyantes. Elles sont même d’emblée psychédéliques sur « A Beautiful Nighmare » et vogueront au fil de l’eau vers des paysages binaires sur ces sept plages d’écoute.
Le free, ici, est en réalité bien dosé, orchestré. On peut l’observer, comme on sonde les strates amoncelées dans le sol. « The Art of Silence », titre ironique, utilise l’électricité pour tailler dans le bloc et nous donner à voir les sillons d’une musique toujours prête à s’échapper. Dommage, d’ailleurs, que parfois ces compostions nous filent entre les doigts comme du sable, manquant de lisibilité. Le dialogue saxophone / basse serait des plus éloquents si le clavier ne s’incrustait pas autant dans l’échange, brouillant les ondes. Quant au rock, qu’il soit d’avant-garde ou revenu du métal, il est ici battu, travaillé, jusqu’à l’obtention d’une formule lourde, concentrée (« The Prince Of The Face Of The Bull »).
En somme, le roc sonore attendu s’est transformé en île. Un rocher sur lequel on a, au bout du compte, pris place entouré(e) par des sons mettant en valeur l’inattendu. L’agilité d’un saxophone soudain lyrique, pleurant presque, sur « A Thousand Thousandths », de ne pouvoir rattraper un irrépressible groove. Celui d’une basse qui, avec précision – c’est son nom – et une guitare lapsteel – so american ! – , se fraye un passage dans un funkrock du meilleur cru. Allez, plongez, c’est toujours vivifiant.