Chronique

Dave Rempis Percussion Quartet

Sud des Alpes

Dave Rempis (as, ts), Ingebrigt Håker Flaten (b), Frank Rosaly, Tim Daisy (dms)

Label / Distribution : Aerophonic

Voici plus de dix ans que le Percussion Quartet de Dave Rempis tourne à intervalles réguliers de chaque côté de l’Atlantique, et c’est souvent l’occasion de casser la monotonie de la boussole : Sud des Alpes a été enregistré à Genève, au printemps 2019. Que Genève soit au sud, il y a de quoi faire renauder le Mercantour, mais les montagnes proposées par l’orchestre, où les batteries de Frank Rosaly et Tim Daisy s’occupent de toute la charge magmatique, n’ont de toute façon pas d’existence réelle ou sont en pleine élévation, portées par les pics anguleux et les sommets cassant de Rempis sur « There is a Jam on the Line », où l’alto, soutenu par la basse minérale de Ingebrigt Håker Flaten, sonne comme un cor traditionnel suisse. Rempis sur ce morceau est toujours en équilibre précaire sur une ligne de crête que les batteurs modèlent, chacun sa face, les peaux pour Rosaly et les cymbales pour Daisy quand Flaten s’arroge tout le travail de fond.

L’ensemble pourrait pétarader, chercher les éboulis et les avalanches, mais le quartet, habitué à jouer ensemble préfère le travail de fond, la lente stabilisation qui n’empêche en rien les turbulences. Dans le premier morceau de l’album, qui dépasse allégrement le quart d’heure, le saxophone passe par divers états, jusqu’à une ataraxie contenue par des percussions vigilantes, un volcan qui sommeille avant de se réveiller plus puissant que jamais en même temps que la basse émerge, seules les batteries conservant un cadre. Paru, comme à l’accoutumée, sur le label Aerophonic, Sud des Alpes nous offre une sacrée surprise en reprenant ensuite « Odwalla » de l’Art Ensemble of Chicago. Non que l’hommage soit surprenant (l’unité géographique et stylistique est évidente), mais il est rare d’entendre Rempis et ses amis jouer la musique des autres. Ici, le thème est réduit à sa plus simple expression, presque efflanqué. Rempis y rentre avec cette douceur rare qui précède les colères. Au fur et à mesure, le son grossit et le saxophone laisse la barre à Flaten, plus solide que jamais, permettant à Rempis de visiter des basses rauques.

C’est un bel hymne à la liberté que nous propose Sud des Alpes. On pouvait croire que parmi tous les orchestres de Rempis, le Percussion Quartet était l’un des plus durs, l’un des plus denses, mais c’est surtout l’un des plus expérimentés. Les batteries, qui s’offrent quelques échappées sur la transition entre « Odwalla » et « Evacuation », dans un morceau aux allures de grand tunnel rythmique, en sont la parfaite incarnation. Jamais au cours de ce concert Rosaly comme Daisy, deux habitués de la scène suisse avec Christoph Erb, ne laissent de place à l’esbroufe. La basse de Flaten est toujours là, centrale, brillante même dans les plus sombres instants, pour remonter l’orchestre vers les sommets, brillants et chaleureux, où Rempis excelle. Un très bel album.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 juin 2021
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