Chronique

Stéphane Belmondo

The Same As It Never Was Before

Stéphane Belmondo (tp, bugle, conques), Kirl Lightsey (p, fl), Sylvain Romano (b), Billy Hart (dms), Laurent Fickelson (p, Rhodes, dir. art.)

Label / Distribution : Verve / Universal

Il flotte sur ce disque comme un parfum de plénitude… Stéphane Belmondo ne s’en cache pas : The Same As It Never Was Before est l’aboutissement d’un projet qui lui tenait particulièrement à cœur et sur lequel il a travaillé des années. Cinq, pour être exact. Un disque qui lui vaut par ailleurs une signature sur le prestigieux label Verve, celui de son enfance et des disques qu’écoutait son père. On imagine volontiers son bonheur à l’idée d’allier rêves de toujours et réalité…

L’actualité des Belmondo et de leurs proches est très riche en ce moment : Laurent Fickelson, compagnon de route et directeur artistique de The Same As It Never Was Before, propose de son côté un envoûtant The Mind Thing où le trompettiste est naturellement impliqué [1].

Lionel Belmondo, le vrai frère, réédite de son côté avec une ferveur peu commune son Hymne au soleil, devenu le nom d’une formation pour un album tout aussi réussi que son prédécesseur, Clair obscur. Avec lui, l’ambition de jeter des ponts entre la musique française du début du XXè et le jazz trouve une nouvelle illustration lumineuse. Il suffit d’écouter « Nocturne » pour se convaincre de l’évidence du lien qui unit Fauré et le Coltrane d’Olé. Stéphane est de la fête, comme en s’en doute…

Et le voilà qui, en digne héritier spirituel de Chet Baker comme de John Coltrane [2], nous offre probablement ce qu’il a de meilleur avec un disque en quartet au sein duquel excelle une paire de septuagénaires américains expérimentés. Et sans Lionel, comme c’était déjà le cas en 2004 avec l’album Wonderland, qui célébrait la musique de Stevie Wonder.
Qu’on ne s’inquiète pas cependant : nulle zone d’ombre entre les deux, juste le besoin, pour Stéphane, de faire aboutir un projet essentiel qui frappe juste et fort et qui, manifestement, marque un tournant dans un parcours riche d’innombrables expériences. Ce disque témoigne aussi d’une volonté de se présenter en toute humilité, dans une posture empreinte d’un lyrisme habité d’une fièvre douce, et pour ce qu’il veut être aujourd’hui : un artiste épanoui. De ceux qu’on finit par reconnaître au premier souffle, à force de travail et de confrontations multiples, renouvelées au fil des années. Stéphane Belmondo s’est hissé haut à la force du piston : son nouveau disque est à considérer comme un jalon très séduisant de sa belle ascension.

Avec le pianiste Kirk Lightsey, il est loin d’être en terre inconnue, même si trente ans les séparent au calendrier : les deux musiciens se sont déjà côtoyés sur scène voici fort longtemps, à l’instigation du premier, du côté d’Aix-en-Provence. Ami de Bill Evans, compagnon de route de Chet Baker mais aussi de Yusef Lateef [3], Lightsey est aussi un fondu du son de la Motown. Forcément, au détour d’une conversation durant l’enregistrement, les deux musiciens n’ont pas tardé à évoquer le cas Stevie Wonder, et à inclure une de ses compositions, tout en prenant soin de choisir un thème absent de Wonderland. Ce sera un « You And I » [4], dans une version juteuse d’allégresse. Kirk Lightsey a également apporté « Habiba » [5], enregistré en d’autres temps avec le trompettiste Blue Mitchell [6].
Billy Hart n’est pas en reste : de Wes Montgomery à Herbie Hancock en passant par Stan Getz, ce batteur héritier des Roy Haynes, Elvin Jones ou Tony Williams est une assurance tous risques pour Stéphane Belmondo, qui bénéficie ici de la brillance de son jeu et d’une précision redoutable dans le choix des couleurs. Deux grands messieurs entre lesquels le jeune Sylvain Romano (né en 1980…), qui a fini par devenir pour Stéphane Belmondo un autre frère en musique, trouve naturellement sa place.

On le devine, The Same As It Was Before témoigne d’une belle santé, mais aussi d’une sérénité émouvante, dès les premières mesures de « So We Are » à « Haunting By Now » qui clôt l’album ; cette musique est traversée de vrais éclairs de joie de vivre (« You And I »), habitée d’une pulsion réjouissante qui est l’essence même du jazz (« Habiba », « United »), libre dans ses improvisations (« Free For Three »), romantique aussi (« Everything Happens To Me »). Stéphane Belmondo goûte visiblement la joie de s’exprimer - dans le respect de ses pairs et avec la volubilité délicate qui est sa marque de fabrique. Au petit jeu des paradoxes, on le parerait volontiers d’une qualité pas si courante : l’exubérance discrète ; jamais, en effet, il n’éclipse ses compagnons. Le sommet du disque est peut-être « Light Upon Rita », introduit par le babil hilare de sa fille [7] et la contrebasse avant l’exposé d’un thème qui pourrait d’ores et déjà être, à sa manière, un standard : évidence de la mélodie soufflée toute en rondeurs, soutien sans faille d’une rythmique accomplie, l’énergie est là ! Une démonstration par la lumière, par le bonheur d’une réalisation, à tous les sens du terme, et peut-être au premier chef dans sa dimension personnelle.

Stéphane Belmondo dit avoir voulu se donner lui-même à entendre « tel qu’il s’envisage lui-même ». The Same As It Never Was Before laisse penser qu’il se sent plutôt bien dans sa peau de musicien. Et nous, du coup, heureux d’avoir de beaux moments à partager avec lui.

par Denis Desassis // Publié le 6 juin 2011

[1Tout comme Sylvain Romano, à la fois membre du quintet des frères et du quartet de Stéphane, que ce dernier aime à présenter comme son autre brother.

[2L’esprit du saxophoniste, dont il est un fervent admirateur, imprègne depuis longtemps sa musique, lui qui le considère comme un rocher.

[3Avec qui les frères Belmondo ont travaillé pour le magnifique Influence en 2005.

[4Talking Book, 1972.

[5Qui nous vaut de l’entendre à la flûte.

[6Qui fut notamment membre du quintet d’Horace Silver, autre référence majeure de Kirk Lightsey.

[7Dont la naissance représente un autre tournant majeur dans sa vie.