Entretien

Sylvain Cathala, l’esthétique au clair

Entretien avec le saxophoniste Sylvain Cathala au sujet de son nouveau quintet et son disque Poetry of Storms.

Sylvain Cathala, photo Laurent Poiget

On connaît la capacité de Sylvain Cathala à savoir exactement où il se trouve. Après deux disques en septet, sa nouvelle formation, en quintet, est l’occasion de l’interroger sur cette nouvelle étape de son parcours. Alors qu’il se consacre à une approche plus traditionnelle, son esthétique et son style n’ont jamais été autant identifiables : comme si au naturel, sa musique était plus que jamais elle-même.

- Vous nous faites découvrir, sur disque, une nouvelle formation qui répond aux canons du quintet de l’histoire du jazz : saxophone, trompette, piano, basse et batterie. Pourquoi ce choix ?

C’est un clin d’œil à Art Blakey & The Jazz Messengers ! J’ai beaucoup écouté les Messengers dans mes années de formation, notamment les moutures avec Wayne Shorter (le live à l’Olympia de 1961 !) ou Benny Golson. Ce choix d’instruments est aussi en relation avec la direction artistique du groupe. Il s’agit pour nous de mixer une approche de l’improvisation plutôt traditionnelle avec mon écriture qui l’est un peu moins. J’avais plusieurs choix possibles et je me suis finalement arrêté sur la formule d’un quintet classique. C’est très cohérent avec mon envie de rassembler, dans cette nouvelle formation, certaines de mes influences passées, certaines de mes envies présentes et de continuer à unifier mon parcours personnel. Cela crée sans doute encore mon son, mais dans un cadre plus patrimonial et sans doute plus accessible lors d’une première écoute. Et puis, je suis un amoureux inconditionnel des sons acoustiques ! En cela, les musiciens du quintet ont vraiment tous un pur son !

- Depuis quand ce groupe existe-t-il et pourquoi avoir réuni ces musiciens qui ne sont pas, excepté Benjamin Moussay, familiers de votre environnement ?

Nous avons débuté en février 2017, au Triton, dans cette salle qui m’accompagne et me soutient. D’ailleurs, ce disque y a été enregistré lors d’un concert sans public mais avec une captation vidéo et sonore pour France Musique ; le disque sort sur le label Triton.

Je sollicite Benjamin Moussay depuis une petite dizaine d’années dans mes différents projets. J’adore travailler avec lui, tant son ouverture, son sérieux, sa capacité de réalisation immédiate et son investissement peuvent être précieux dans l’élaboration et la diffusion de la musique. Olivier Laisney est un magnifique trompettiste. Il connaît aussi bien la tradition que les musiques cousines des miennes (ne jouerait-il pas dans le Workshop de Stéphane Payen ?!). Maxime Zampieri a, lui aussi, une très grosse expérience et des connexions avec ces musiques, notamment par sa très fidèle collaboration avec Magic Malik. J’aimais déjà son toucher et son groove avant qu’on se retrouve dans notre quintet ; depuis, je suis admiratif de sa musicalité et de sa pertinence. Quant à Frédéric Chiffoleau, j’avais fait appel à lui il y a quelques années pour remplacer Sarah Murcia dans mon trio pour un concert. C’est un contrebassiste touche-à-tout et absolument tout terrain. Sa solidité rythmique et son timbre à la fois intimiste et puissant me séduisent réellement.

En 2005, j’avais réuni dans mon trio une rythmique inédite : Sarah Murcia (contrebasse) / Christophe Lavergne (batterie). Ce fut un enjeu et un succès. Je recommence, en toute confiance, avec Fred et Max. Dans la recherche d’un son particulier, j’aime bien prendre cette direction. Celle de construire collectivement, plutôt que de partir d’une certaine idée.

Sylvain Cathala et Sarah Murcia, photo Laurent Poiget

- On sent ici l’envie d’une pratique plus intériorisée dans la manière de jouer en groupe. La musique est moins projetée, plus ressentie. Après quelques disques très arrangés, qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?

Vous parlez d’un ressenti d’écoute qui fait directement écho à la direction artistique même du quintet. Est-ce ce pas supplémentaire vers un son de tradition qui pourrait motiver cette question ?

Je crois sincèrement que la dimension émotionnelle est constituée par le son du groupe et l’interprétation, mais aussi par la forme, l’orchestration, la place et la gestion des soli. Dans les musiques écrites, cette position est une évidence. Dans nos musiques, lorsque le son n’est pas suffisamment proche, pour l’auditeur, d’une référence ou d’une tradition partagée (hard bop, dixie, standard…), ces aspects formels aident grandement à véhiculer une énergie et une émotion de la scène vers le public.

Dans Poetry of Storms, nous avons pourtant formalisé presque autant que pour les disques précédents. L’enregistrement live a, en effet, tendance à m’entraîner dans cette voie. Cependant, notre musique est conçue pour permettre ce pont entre tradition et écriture contemporaine ; la densité de l’écrit est prévue pour cela. Peut être est-ce pour cela que notre musique sonne d’une façon plus intimiste ?

J’ai la sensation également que mes envies actuelles de jouer un répertoire sans forme ni set-list pré-établies, sont dans la continuité d’une démarche amorcée en 2012 avec mon trio. Les morceaux des disques Flow & Cycle puis Transformations sollicitent l’interaction permanente, autant dans l’improvisation que l’interprétation. Cela renouvelle le son et la dramaturgie à chaque fois. Il se trouve que ces envies sont partagées au sein de mes groupes. Je suis chanceux !

- Vous donnez une nouvelle version de votre composition « Énée’s Story » différente de celle de votre septet. Lorsqu’on compose un morceau, sait-on le potentiel qu’il recèle ? Comment fait-on pour le révéler ?

Non, je ne connais pas le potentiel ! Jamais. Ce serait comme découvrir la recette pour écrire des tubes. Génial !
Malgré une réflexion continue sur ce sujet, je n’ai découvert que peu d’indices ou techniques personnelles d’écriture qui me permettent de présager l’avenir d’un morceau… et puis, une fois sur deux, je me trompe ! Ce sont presque toujours les sons de la première répétition qui signent l’avenir d’une pièce.

Pour « Énée’s Story », Benjamin Moussay l’a décrite comme une « ballade un peu bancale en ré mineur ». J’aime bien. Pour moi, c’est une sorte de « So What » (Miles) passé dans une machine un peu folle qui a tout déformé et rajouté au passage des modes de Messiaen et une symétrie formelle inspirée de « Daybreak ».
Cette composition a été écrite en 2014 pour une création de l’octet PRINT & Friends, puis jouée en trio, quintet et septet… et même en duo avec Maïlys Maronne en novembre dernier.

J’ai l’impression qu’elle offre un bon équilibre entre matériel personnel et lyrisme. Elle peut être abordée facilement par tous les musicien.ne.s. C’est un morceau qui me suit. Il rejoint en cela des morceaux comme « Esquisse », joué dans PRINT depuis les tout débuts. Par contre, c’est complètement inhabituel que j’enregistre une composition avec trois groupes différents. C’est une exception.

Benjamin Moussay, photo Laurent Poiget

- Au fil des années, un équilibre s’installe entre une approche cérébrale et une sensualité toujours plus affirmée. Sentez-vous que vous entrez dans une nouvelle phase de votre créativité ?

Je ne sais vraiment pas ce qu’est une approche cérébrale ou sensuelle. Je n’y vois pas d’opposition mais une grande complémentarité, et c’est peut être pour cela que j’aime tant la musique de J.-S. Bach.
J’écris la musique avec mon background personnel, mes qualités et mes nombreux défauts ; comme je n’ai pas suivi de formation spécifique en composition, je passe du temps à apprendre par moi-même en étudiant les musiques des autres (Monk, Mingus, Miles, Shorter, les Coleman - Ornette et Steve, Aka Moon et Octurn, Tim Berne, Björk, The Doors, Sting, Pygmées Aka, Ligeti, Messiaen, …).

Écrire, c’est un grand terrain de jeu où tout est permis et où je retrouve le petit garçon que j’ai été, avec sa liberté et ses rêves. Ces moments de composition sont, à la fois, très intimes et précieux dans mon ouverture aux autres et au monde. C’est Gilbert Roggi qui m’a motivé pour l’écriture (Mille mercis Gibb !). Au départ, je ne voulais vraiment pas. Il a insisté et m’a mis en confiance. Merci également à Philippe Lemoine qui m’a transmis l’un de ses secrets que j’utilise depuis et sans lequel j’aurais depuis longtemps arrêté d’écrire. Stéphane Payen, enfin, qui m’a montré, conseillé et encouragé avec une constance sans faille.

Et puis, j’ai eu la chance, au début de PRINT, d’essayer des choses qui étaient jouées en concert la semaine suivante. Cette dynamique forme rapidement les choix à l’étape de composition : il faut que ce soit jouable très rapidement et il faut que ça sonne. Écrire de la musique m’a permis de progresser un peu dans la direction d’orchestre. Notamment du fait que, les répertoires se succédant et ne bénéficiant pas de beaucoup de diffusion, il faut emmener l’orchestre tout de suite vers un résultat sonore qui soit fidèle au morceau et plaisant à jouer.

- Jusqu’où voulez-vous amener ce quintet ?

À l’intérieur du cadre esthétique proposé pour ce groupe, il y a beaucoup de chemins possibles. Des voies tracées par le second Quintet de Miles, par Mark Turner… elles sont nombreuses et rien n’est arrêté. En dehors d’un petit nombre de programmateurs fidèles, mes groupes sont relativement peu diffusés. Or ce sont les concerts et l’échange direct avec le public qui font avancer la musique. L’avenir se construit collectivement.

- Les anciennes formations deviennent-elles obsolètes (autrement dit, quels sont les projets à venir) ?

Non, non, non, il n’y a pas d’obsolescence programmée chez Cathala !
J’ai envie d’enregistrer avec PRINT ; on doit avoir trois ou quatre répertoires à graver. Ça fait longtemps et ça me manque. On fêtera d’ailleurs les 25 ans de PRINT en 2022 aux Lilas, à Paris et à Strasbourg en 2023
On vient de jouer au studio de l’Ermitage avec mon septet.
Le trio avec Sarah Murcia et Christophe jouera en mars au Triton, et en juin à Jazzdor Berlin en quartet avec Kamilya Jubran.
Enfin, le Quintet sera en concert le 16 février au Studio de l’Ermitage.