Chronique

Tate - Keravec - Kohl - Claus - Hatcher

Temple of Enthusiasm

Marvin Tate (voc), Erwan Keravec (cornemuse), Lia Kohl, Gaspar Claus (cello), Gerrit Hatcher (ts)

Label / Distribution : The Bridge Sessions

Ce n’est pas, de prime abord, ce qui vient à l’esprit lorsqu’on observe la distribution de ce nouvel orchestre transatlantique proposé par The Bridge, mais Temple of Enthusiasm est entièrement dédié à la voix. Pas de vocalises ni de chants performatifs, mais du timbre. Le sentiment d’une multitude de voix qui ne cessent de grossir comme un fleuve après l’orage. Les deux violoncelles de Gaspar Claus et Lia Kohl y sont forcément pour quelque chose, tout comme le ténor de Gerrit Hatcher dont la chaleur est bienvenue [1]. Mais, d’évidence, c’est la cornemuse d’Erwan Keravec qui donne au quintet une approche charnelle, organique qui ne se trouve pas partout, et semble même s’amuser de l’inédit. D’autant que pour clore la distribution de l’orchestre, le poète et activiste Marvin Tate vient apporter sa harangue. Vient prêter des mots à ce cri primal en voie d’organisation. Tate est une figure de Chicago, comme le rappelait notre portrait récent ; il trouve ici de précieux compagnons de route.

Ce qui impressionne d’abord dans Temple of Enthusiasm, c’est à quel point l’orchestre illustre bien son nom : ça déborde, ça crie, ça chahute en un mot. L’archet de Lia Kohl va chercher toute la raucité possible de l’instrument, donne un relief différent au bourdon de la cornemuse que les mots de Tate tentent de dompter. On connaît mal encore la jeune violoncelliste en Europe, mais elle apporte dans le quintet un son, une approche qui se conjugue à merveille avec l’approche très post-rock de Claus. Au centre du morceau unique, performance intense jouée au Petit Faucheux à Tours en 2020 à l’aube de la pandémie, les archets et les soufflants forment un vortex puissant que la voix de Marvin Tate parvient à concentrer. L’orateur domine la foule, mais ne la commande pas.

Le jeu l’emporte dans cette performance. Dans les prémices du morceau, alors que les violoncelles sortent gravement des ténèbres, l’arrivée de la cornemuse dans un retentissement d’électronique dirigé par Claus a toute théâtralité que le saxophone de Hatcher a bien préparée. Il pourrait y avoir quelques conséquences potaches, mais c’est d’abord une manière de créer du lien, de faire de l’orchestre une discussion permanente, un chant des multitudes. De toutes les propositions d’échanges qu’a pu présenter The Bridge, Temple of Enthusiasm est certainement l’une des plus inattendues et des plus radicales. Des plus poétiques aussi, naturellement.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 mai 2023
P.-S. :

[1On avait pu découvrir en 2018 le saxophoniste dans un solo chez Astral Spirit, NDLR.