Portrait

Marvin Tate retourne vers le futur

La réédition des trois albums de D-Settlement est l’occasion de redécouvrir un artiste méconnu.


Marvin tate @ Avec l’aimable autorisation de Marvin Tate

Dans les années 90, le chanteur Marvin Tate émerge sur la scène de Chicago à la tête d’un groupe qui mêle R&B, soul, punk, gospel et funk. Sortiront trois disques en autoproduction entre 1997 et 2002 – aujourd’hui réédités dans un coffret – avant que la formation n’éclate. Depuis, Tate poursuit un parcours pluridisciplinaire qui l’amène régulièrement à se frotter à des musiciens de jazz.

Rien de prédispose Marvin Tate à devenir chanteur. Lui et son frère jumeau, Melvin, bégaient. « Gamins, on se moquait de nous, explique-t-il. J’ai alors décidé de développer mon propre langage, ce qui m’a aidé à comprendre la force des mots. » Par défi, il décide d’apprendre et de réciter le poème « We Real Cool » de Gwendolyn Brooks. Plus tard, il fait preuve d’ingéniosité en tirant parti de son handicap pour créer un style voisin du scat.

La notoriété de D-Settlement ne dépassera que rarement les murs de Chicago. Ses trois albums sont indicatifs de son cheminement : Partly Cloudy en 1997 donne une bonne idée de son éclectisme ; The Minstrel Show en 1999 vire davantage dans l’expérimentation, tandis que American Icons en 2002 opte pour un son rock plus ample et fourni. Le groupe connaît un certain succès localement en se produisant le plus souvent à HotHouse, un club mythique. Il fait ainsi la première partie d’Amiri Baraka, d’Antibalas, de Bernie Worrell ou même du Willem Breuker Kollektief. D-Settlement se révèle un parfait véhicule pour son style vocal qui associe le spoken word au chant, et pour sa dénonciation des injustices sociales.

@ Hugo Masa

Presque vingt ans s’écoulent depuis la dissolution du groupe lorsque Marvin Tate décide d’en rééditer la discographie. Cependant, il lui faut près de trois ans pour que le projet aboutisse. Après une mésaventure avec un label de Chicago, un ami guitariste, Bill McKay (qui n’a jamais fait partie de D-Settlement), l’oriente vers Jordan Reyes, patron d’American Dreams Records, avec lequel il parvient à s’entendre. « Il m’a fallu ensuite retrouver les musiciens, regagner leur confiance, leur faire signer des tas de papiers, explique Tate. Cela a été deux bien longues années. »

Le 29 octobre, le groupe se retrouve pour un concert à Constellation pour célébrer la sortie du coffret. De longues versions de « Gerald » ou de « Turn Da Fuckin’ Lights Back On » soulignent l’importance que revêt l’improvisation pour le chanteur. Ces chansons évoquent des questions qui sont toujours d’actualité telles que l’identité sexuelle ou les problèmes auxquels est confrontée la communauté noire. Tate estime que sa responsabilité est de donner voix aux personnes marginalisées par la société.

Le soir des retrouvailles, outre les membres de la formation originale, on note la présence de Hunter Diamond. Le saxophoniste est l’un des nombreux jeunes musiciens pour qui D-Settlement a compté. « Cela me réchauffe le cœur de voir des musiciens plus jeunes qui cherchent à entrer en contact avec moi parce qu’ils ont écouté D-Settlement », avoue Tate. Outre Diamond, la multi-instrumentiste Angel Bat Dawid, le trompettiste Ben LaMar Gay, et surtout la regrettée jaimie branch travaillent avec lui. On peut entendre le chanteur sur “Prayer for Amerikka Pt. 1 & 2” de l’album Fly or Die II : Bird Dogs of Paradise de la trompettiste. Et quelques semaines avant sa disparition, une possible collaboration est au cœur des discussions qu’ils entretiennent.

Marvin Tate et Paul Rogers @ Hugo Masa

Marvin Tate n’envisage pas de relancer D-Settlement. Son goût pour l’improvisation et l’avant-garde l’amène en particulier à travailler avec d’autres artistes. « Je ne cherche pas à reproduire le passé, dit-il. En tant qu’artiste, j’explore et je m’épanouis en travaillant avec de nouveaux musiciens. » Parmi les projets récents dans lesquels il est impliqué, on peut citer un trio dont le batteur Tim Daisy est l’instigateur et qui inclut le saxophoniste Mars Williams. Ce groupe donne une bonne idée de la philosophie musicale de Tate. « Je veux que mon corps et ma voix forment un instrument, affirme-t-il. Je veux donner voix à mon subconscient. J’aime entrer et sortir, grimper par-dessus le son, me mouvoir sous le son. »

Le chanteur est également régulièrement invité par Alexandre Pierrepont à rencontrer des musiciens de passage à Chicago dans le cadre de The Bridge, le projet d’échanges entre musiciens français et américains. Il finit d’ailleurs par faire partie d’un groupe monté dans ce cadre, qui a investi Chicago en novembre : Temple of Enthusiasm avec Gerrit Hatcher au saxophone ténor, Erwan Keravec à la cornemuse, et Gaspar Claus et Lia Kohl, tous deux au violoncelle. « Cela fait un moment que nous avons joué ensemble, mais je suis ravi que l’on puisse enfin se retrouver, déclare Tate. J’aime ce projet. Chacun respecte l’autre. Il n’y a pas de leader et tout le monde est leader. »