Three Days of Forest
Four Trees
Angela Flahault (voc), Séverine Morfin (vla), Blanche Lafuente (d, fx)
Label / Distribution : Garden Records
Quatre poétesses, trois musiciennes, une magicienne. C’est la formule parfaite pour un départ vers l’inconnu : trois jours en forêt Three Days of Forest (TDOF) et une boussole qui n’en fait qu’à sa guise. Entre la ballade mélancolique de « We Real Cool » et la petite bulle de pop aigrelette proposée avec « Fox », le trio tant attendu autour de Séverine Morfin dresse tout un univers. Deux des autrices chantées par Angela Flahault, dont on se souvient de la prestation majuscule avec l’Orchestre du Tricot, sont deux Africaines-américaines contemporaines. Sheila Dove est la plus jeune et la plus connue ; née dans l’ouvrière Akron en Ohio, c’est elle qui inspire le plus Three Days of Forest, jusqu’à leur offrir leur nom dans une chanson où la batterie de Blanche Lafuente ancre dans le réel un songe d’ombre et de lumière où l’archet de Morfin chauffe à blanc son alto pour cautériser les plaies de l’étrangeté.
Mais qui est donc la magicienne ? C’est bien entendu Céline Grangey, l’ingénieure du son qui, encore une fois, met en forme une atmosphère riche et très poétique, comme elle avait su le faire dans Mad Mapple, autre projet de l’altiste, ou encore avec Lila Bazooka. Dans « Great Tree », la voix profonde d’Angela Flahault évoque, sur le jeu entêtant de Séverine Morfin, quelques vieilles légendes gaéliques où les femmes ne se cantonnent pas au rôle de princesses ; plus loin, avec « Sadie & Maud », l’alto agit en profondeur, comme multiplié dans les chœurs et travaillé par le pad de Blanche Lafuente. L’univers de ces musiciennes est très bien cartographié par Grangey, sans limiter l’espace et en favorisant les confins. Le paradigme féministe de TDOF n’est pas revendiqué ; il est, simplement. Le choix des autrices parle de lui-même, à commencer par Charlotte Perkins Gilman, l’une des pionnières du mouvement féministe étasunien. « For Fear », bel échange entre Morfin et Lafuente, est même l’un de ses textes les plus célèbres, scandé comme un spoken word par l’impeccable chanteuse.
On mesure l’importance de Blanche Lafuente dans le ton donné à l’orchestre. Arrivée tardivement dans le trio en remplacement de Florian Satche qui faisait partie de TDOF lorsque celui-ci fut lauréat de Jazz Migration #4 en 2018, la batteuse de Nout apporte un surplus d’acidité rock et un jeu plus incarné qui sait trancher avec l’éther des deux autres musiciennes. Le premier disque de TDOF aura mis le temps pour arriver, mais c’était pour mieux en maîtriser l’équilibre. C’est une réussite.