Scènes

Des sons infinis à Rouen

Investir les lieux inédits est le désir des Vibrants Défricheurs


Investir des lieux inédits, jouer la musique dans la ville, voici depuis des années le désir du collectif des Vibrants Défricheurs. Plus acteurs de terrain que communicants, les Rouennais organisent souvent des événements impromptus, en quelques semaines, avec les institutions du territoire ou de manière totalement indépendante. Les Sons Infinis, qui occupaient pour la première fois la belle chapelle du CHU de Rouen, en est un parfait exemple. En quelques semaines, trois concerts internationaux furent donc organisés, le temps d’un weekend. Et avec quel plateau, puisqu’en plus des musiciens rouennais, on croisait Csaba Palotaï ou encore Linda Oláh.

La Chapelle de l’Hôpital Universitaire de Rouen est un bâtiment du XIXe siècle, rectangulaire, haut de plafond, avec deux étages en balcon où l’on trouve un bel orgue sur lequel Antoine Berland a accueilli le premier soir le saxophone ténor de Raphaël Quenehen et la cornemuse du sonneur brestois Erwan Keravec. Il ne s’agit pas de faire une description touristique, même si l’hôpital Charles Nicolle est chargé d’histoire. Cependant, il faut comprendre ce que les Vibrants en ont fait, dans la froidure et les vieilles pierres : un lieu d’improvisation, certes, mais aussi de spatialisation. Lorsque le public s’assoit, dans des chaises longues disposées en ovale sous les chauffages rougeoyants et bienvenus, c’est à une expérience sensorielle qu’ils sont conviés. On ne voit pas les musiciens, il sont dans les travées supérieures. On se doute que l’organiste est à l’orgue, étant entendu qu’il s’en donne à cœur joie, mais cornemuse et ténor trafiqué avec des tuyaux se déplacent comme des esprits furtifs et se planquent dans des timbres étonnamment semblables. Cela bâtit pour le spectateur un effet de balance entre jeu de piste et illusion auditive intense qui se terminera au centre de l’œil formé par les transats, dans une concorde négociée entre les soufflants.

Csaba Palotaï & Linda Olah © Franpi Barriaux

L’église est donc au centre du propos, et même si nous n’y étions pas, il y résonnait encore, le dimanche, les échos de la performance d’Anne Laure Poullain dans les hauteurs, sous la voûte, avec Frédéric Jouhannet au violon, Aurélie Saraf à la harpe et les percussions minérales de Toma Gouband. La suédoise Linda Oláh et le hongrois Csaba Palotaï l’ont bien compris et ont décidé également de jouer avec la surface. Le guitariste, seul, invite au voyage immobile, ivre de ces grands espaces qu’il sait offrir. Puis vient la chanteuse, invisible d’abord, une ombre dans les hauteurs qui psalmodie sur une note tenue, infinie puisque c’est l’idée, avec une technique qu’elle seule maîtrise avec une telle aisance, différenciant ses cordes vocales, y injectant des scories. Une dimension mystique entre sensation séraphique et ange déchu qui clôt à merveille cette triple rencontre. Dans le public, des habitués, des enfants, des curieux, mais aussi des patients des unités avoisinantes. C’est ça, investir un territoire pour un collectif. Ce ne sont pas que des mots sur des plaquettes pour les financeurs. C’est créer du lien social. Ça n’a pas de prix.