Scènes

Têtes de Jazz en Avignon 2014 (1)

Une initiative exemplaire que ce Têtes de Jazz, qui en plein festival d’Avignon, proposait du 6 au 16 juillet 2014 à l’Ajmi une vitrine d’exposition du jazz et des musiques actuelles des plus intéressantes, en partenariat avec une dizaine de structures et labels européens.


Quarante trois concerts, cinq projections, deux tables rondes…. le programme est riche et très ouvert. A l’Ajmi, tout près du Palais des Papes, on peut voir et/ou revoir beaucoup de groupes pendant la journée, de 12h30 à 21h30 ; de quoi faire le plein de sensations, de musiques et d’images…
Pour la première partie de ce compte rendu, un photo-concert sur la Bretagne et un hommage à l’un des plus grands groupes anglais des Seventies.

Nautilis joue la Bretagne de Guy le Querrec - Regards de Breizh

Immersion dès l’arrivée en Avignon, pour cette deuxième édition du festival Têtes de Jazz, dans un photo-concert autour de l’œuvre bretonne de Guy Le Querrec, photographe de l’agence Magnum que les amateurs de jazz connaissent bien pour ses photos de musiciens, mais aussi globe-trotter infatigable (on se souvient de ses Carnets d’Afrique et de Big Foot, son travail sur les Indiens d’Amérique d’après Jim Harrisson). Ses images nous plongent immédiatement dans un bain de nostalgie : les scènes de mariage, les fêtes populaires et autres pardons le fascinent, mais ce n’est pas tant le folklore breton [1] que la représentation d’une époque révolue qui est sa source d’inspiration. Ses deux grands-parents étaient natifs du Morbihan et des Côtes-du-Nord, comme on disait alors, et ce Parisien se fait aussi une certaine idée de la « celtitude », pour citer Michel Le Bris, autre Breton et passionné de jazz.

Nautilis joue Guy Le Querrec Photo H. Collon

Le rapport de la musique à l’image a toujours passionné Le Querrec, grand « blagueur » devant l’éternel qui se rattrape ainsi du fait indubitable que les photos sont muettes. Et pourtant elles nous en racontent des choses - sur nous, la vie, l’amour et le désir. Il crée, selon ses dires, « une partition d’images sur des thématiques communes à ses photos. » On retrouve des réminiscences vives des films français d’avant-guerre, du « réalisme poétique » à la Prévert au découpage précis, pragmatique, sans concession. Ses évocations sont inoubliables, et il attrape une scène en un déclic comme un romancier, en une ou deux phrases, saisit une atmosphère.

Formidable entreprise que ce projet mené par Christophe Rocher et l’équipage brestois de Nautilis : 40 000 photos en noir et blanc prises entre 1974 et 1990, des archives triées, classées, montées avec soin par le vidéaste J. Alain Kerdraon qui, assisté de Sergine Laloux, a lié les différents chapitres en un tout cohérent. Le travail formidable de ce passeur d’images a donné lieu à un journal, sorte de catalogue d’exposition pour musée des ATP (Arts et Traditions Populaires) : les photos dignes de cette sélection montrent une indéniable qualité esthétique, une écriture photographique, et ont la force d’un documentaire ; toute la partie sur le naufrage de l’Amoco Cadiz (1976), proprement saisissante, prouve l’utilité de ce travail de transmission du « funambule sur le fil du hasard ». Il y a encore ces scènes hallucinantes aux abattoirs ou au marché des chevillards.

Comment lier ensuite ces images aux musiques du groupe Nautilis ? Les huit musiciens exposent leurs tableaux musicaux en l’espace d’une heure en s’adaptant à cette vision bien réelle de la Bretagne d’hier. Le dispositif, pour cette série de représentations, propose un mur-écran décalé sur le côté droit de la scène et si au début, comme toujours, on regarde le groupe, très vite on parvient à se concentrer sur les photos. Ému par ce voyage dans le temps, on finit par se demander aussi, avec le photographe, ce que sont devenus tous ces personnages captés par son œil et son Leica. Qu’elles sont belles, ces « chansons de gestes » où bras et mains créent des chorégraphies astucieuses ! Une vision nette, décapante qui nous fait regarder le monde autrement.

Nautilis joue Guy Le Querrec Photo H. Collon

Kind of Pink : les Belges sont toujours les bienvenus à Avignon

Cette « sorte de » retour sur Pink Floyd, hommage inspiré du flûtiste-saxophoniste Philippe Laloy à son père récemment disparu qui l’initia à « cette musique venue d’ailleurs », porte une attention particulière aux détails sonores que les quatre architectes du son savaient si bien installer dans un environnement planant, psychédélique, symphonisme élégiaque truffé d’effets électroniques : de véritables pionniers de l’électro, en somme, qui étaient alors considérés comme les chantres d’une nouvelle musique classique électrique.
On retrouve avec nostalgie « Wish You Were Here », et l’incontournable « Money » de Dark Side of the Moon. Mais l’essai est transformé avec « Another Brick in the Wall », un des plus grands succès des années 80, devenu culte davantage grâce au film d’Alan Parker The Wall que par la valeur mélodique de cette ritournelle, scandée, répétée, dans la tradition des « protest songs ». Autre belle réussite, « Shine On You Crazy Diamond », où Philippe Laloy et Manu Baily chantent avec grâce tandis que la contrebasse d’Arne van Dongen oriente la musique sur le versant folk. Un hommage simplement sincère et réussi. Le public en redemande, d’autant que l’heure de programmation, 12h30, est parfaite pour attirer l’audience.

par Sophie Chambon // Publié le 4 août 2014
P.-S. :

À venir : nos photoreportages

[1Si vous avez vu le film de Christophe Honoré Non, ma fille tu n’iras pas danser, vous repenserez au « gwerz », ballade et conte enchâssés dans la narration, parenthèse contant la légende de Katel, descendue aux enfers pour avoir préféré la danse à ses prétendants et les avoir poussés à l’épuisement.