Scènes

The Legacy Project à Chicago

Le saxophoniste Chico Freeman est de retour au bercail pour fêter son riche patrimoine familial.


Chico Freeman @ Lauren Deutsch

Le 23 juin, au Logan Center for the Arts de Chicago, il s’est produit à la tête d’une formation forte de dix-huit musiciens pour se pencher sur son passé et l’honorer.

Chico Freeman, presque 73 ans, est le produit d’une famille de musiciens. Von, le père, était également saxophoniste et une légende locale. Bruz, un de ses oncles, était batteur et a notamment joué au sein du New Art Jazz Ensemble, le groupe codirigé par le clarinettiste John Carter et le trompettiste Bobby Bradford. Enfin, George, un autre oncle, guitariste de son état, s’est également forgée une réputation sur le plan local.

Pour présenter The Legacy Project, Chico s’est reposé sur le guitariste Mike Allemana et sa sagacité afin de recruter les musiciens et d’assembler un big band. En raison de l’occasion, il était concevable que le saxophoniste écrive de nouvelles compositions, mais il opte pour un florilège couvrant la majeure partie de sa carrière. John Kordalewski qui tient le rôle de chef d’orchestre se voit confier les arrangements, parfois incisifs, parfois un peu trop convenus.

Le concert ouvre avec « To Hear a Teardrop in the Rain », un blues qui figure parmi les morceaux que Chico Freeman a le plus repris au cours des trois dernières décennies. La chanteuse Dee Alexander a l’occasion de rayonner, notamment grâce à un passage a cappella qui lui permet d’étaler toute son expressivité.

George Freeman, 95 ans, est de la partie, même s’il doit abandonner les festivités en cours de route. Cela ne l’empêche pas de se mettre en valeur avec sa propre balade, « My Scenery », la seule composition de la soirée qui ne soit pas signée de Chico. Il ne déçoit pas en restant fidèle à sa réputation de jazzman non orthodoxe – son cheminement est biscornu et certaines de ses notes et accords détonnent à merveille.

George Freeman, Sam Jewell et Chico Freeman @ Lauren Deutsch

Durant la soirée, des rythmes latins parviennent à se frayer un chemin, le jazz afro-cubain ayant toujours éveillé un intérêt chez le saxophoniste. Ils émaillent notamment « Tribute to Our Fathers » tiré de l’album Fathers & Sons (Columbia) qui avait associé les Freeman aux Marsalis ou « Nia’s Quest » dédiée à l’une de ses quatre filles.

Les meilleurs moments de la soirée sont à trouver dans deux compositions provenant curieusement d’un même album, Tradition in Transition (Elektra Musician) de 1982. « Talkin’ Trash » est dédiée à Eric Dolphy dont le jeu à la clarinette basse a profondément influencé Chico. On y retrouve une angularité chère au grand clarinettiste/saxophoniste agrémentée de soudaines cassures dissonantes et d’une conclusion des plus cacophoniques.

Quant à « Each One Teach One », Freeman prend le temps d’expliquer qu’elle résume bien la philosophie des jam sessions hebdomadaires qu’animait son père et qui ont permis à de nombreux musiciens de se révéler – on aurait d’ailleurs apprécié davantage de commentaires ou d’anecdotes du même tonneau. Plusieurs solistes sont mis à contribution et ne manquent pas de briller. Ari Brown au saxophone ténor nous fait une démonstration pleine de maturité avec un solo posé et plein d’allure. Le guitariste Mike Allemana en profite pour dévoiler une facette moins connue de son talent avec des phrases déchirantes et pleines de détresse. Enfin, le saxophoniste alto Greg Ward joue sur les contrastes en modulant son débit qui va du ralenti au débordement. On salue également la section rythmique (Richard Johnson au piano, Jeremiah Hunt à la contrebasse et Sam Jewell à la batterie) qui tout au long du concert font preuve d’une écoute remarquable afin de mieux se mettre au service des solistes.

Peut-être surpris par la qualité des musiciens qui l’entourent, Chico Freeman n’entre pas dans le jeu de la compétition et évite l’écueil d’une virtuosité nombriliste. Il déroule ses interventions dans un style imposant, puissant et ample. Il ne reste plus qu’à espérer qu’une suite sera donnée à cette rencontre et qu’un tel travail ne finisse pas aux oubliettes.