Chronique

Tomaž Grom / Zlatko Kaučič

Raztrgana Folklora Spomina

Tomaž Grom (b), Zlatko Kaučič (perc)

Label / Distribution : Sploh

On sait la scène slovène attachée à une improvisation radicale. De Kaja Draksler à Urban Kušar en passant par Zlatko Kaučič, le petit pays balkanique a pris l’habitude de nous surprendre. Patron du label Sploh, le contrebassiste Tomaž Grom est sans doute l’un des habiles architectes de cette représentation. Avec Kaučič, il anime depuis plusieurs années un duo fructueux dont The Ear Is the Shadow of the Eye était le premier disque, paru juste avant la pandémie. L’idée de cet album était de saisir le son avec les objets qui nous entourent ; composer avec l’existant, faire du son brut une histoire. Deux ans après et quelques confinements plus tard, cette philosophie demeure chevillée à l’histoire musicale de ces compères avec Raztrgana Folklora Spomina, que l’on pourrait traduire par « Souvenirs déchirés du folklore ». De quel « folklore » parle-t-on ? Celui dit imaginaire, cher à nos musiques ? À l’écoute de « Raztresen iz Konteksta », et ce pizzicato timide qui se faufile au milieu des entrechocs des percussions amoncelées, on serait tenté d’émettre une autre idée.

Le folklore de Kaučič et Grom, c’est indéniablement celui de l’instant ; c’est le souvenir et la tradition du son, par essence totalement fugace. Si tradition il y a, c’est celle de l’écoute mutuelle, de la patience et de l’éphémère. Que dire d’autre de « Trda Rota » qui débute sur une explosion de métal et de cordes avant de s’offrir quelques secondes de silence pour mieux revenir et bâtir de nouveau ? La contrebasse de Grom est tranchante, structurante, opiniâtre. Elle tranche avec l’entropie galopante de Kaučič, que l’on avait pu découvrir dans ses échanges avec Joëlle Léandre ou avec Ab Baars, avec qui il partage également le goût pour le duo.

Il existe entre Zlatko Kaučič et Tomaž Grom une vraie complicité : elle s’exprime à merveille dans cet album fait de morceaux courts, comme des chansons traditionnelles nées dans l’instant, de ces deux créateurs qui mélangent discussions intimes et douce euphorie. Leurs influences musicales pourraient venir de partout dans le monde, voire de l’au-delà, captées par des oreilles immenses (« Ovce na desnem bregu »). Avec Raztrgana Folklora Spomina, le label Sploh nous propose de revenir au plus ancien des folklores, celui du son brut qu’il convient de dompter. Brillant.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 septembre 2022
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