Chronique

Erb - Mayas - Hemingway

Bathing Music

Christoph Erb (ts, ss), Magda Mayas (p), Gerry Hemingway (dms)

Label / Distribution : Veto Records

On le sait, Christoph Erb aime le temps. Avoir le temps, le prendre, y revenir. Rencontrer encore, remettre l’ouvrage sur le métier. C’est le travail, le temps passant, qu’il mène avec Exchange, sa collection personnelle sur le label Veto Records. On a pu croire longtemps qu’il s’agissait de cartes postales de Chicago, et le focus peu à peu s’est déporté. Revenant vers l’Europe, l’échange a pris une signification plus philosophique ; aller vers l’autre, et se laisser surprendre dans ce qu’on a de plus familier. Quoi de mieux que de partager ce concept avec des artisans du sensible comme Magda Mayas et Gerry Hemingway ? Quelques mois après un premier enregistrement, on retrouve le trio dans « The Surrounding Shore » où le piano préparé de Mayas entame un jeu de miroirs avec les percussions. Au milieu d’eux, le saxophone s’immisce, faussement impavide puis franchement belliqueux. De quoi rompre la glace.
 
Le premier témoignage de ce trio se nommait Dinner Music. Le menu a changé puisque la seconde cassette, disponible en numérique sur BandCamp, se nomme Bathing Music. De la cuisine à la salle de bain, Erb a peut-être l’intention de nous faire visiter toute la maison, mais celle-ci est occupée par divers esprits frappeurs. Dans « Mist That Whispers », le sifflement de l’anche du saxophoniste semble se perdre dans les cordes lestées du piano préparé, comme une fuite intangible qui égare les frottements et les caresses du batteur. Tout semble fragile, mouvant, en perpétuelle reconstruction dans un espace infini : dans une note soufflée qui enfle apparaissent toutes sortes de reliefs, électroniques ou organiques. Une sculpture de l’infiniment petit.
 
La rencontre de Christoph Erb avec Gerry Hemingway et Magda Mayas est exceptionnelle par sa liberté. Sa nouveauté également : on est éloigné de ce que le multianchiste peut parfois proposer, tout en restant diablement cohérent, tant son approche de sculpture de la masse sonore - ce que l’on avait déjà entendu notamment avec Jim Baker et Frank Rosaly - est toujours centrale. Mais ici, à l’instar du long « Drifting in Morning Rain » final, rien n’est définitif ou explosif ; il y a certes quelques accélérations au ténor, mais elles sont sporadiques. Le maître de maison laisse beaucoup de place à ses convives ; ce sont eux qui choisissent la pièce de vie. Ici, la Bathing Music est un lieu de résonance et de suppuration. Tout s’écoule avec la plus grande des douceurs, emporté par la liberté de ces trois magnifiques amoureux du son.
 

par Franpi Barriaux // Publié le 8 janvier 2023
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