Scènes

Triple respiration au Petit Faucheux

Trois concerts en duo le vendredi 4 février dans la salle tourangelle.


Sylvaine Hélary et Robin Fincker, photo Rémi Angéli

Une triple série de doubles était proposé par le Petit Faucheux vendredi 4 février. Rien à voir avec un tournoi de tennis, même si la possibilité de se renvoyer la balle dans cette succession de duo était tout à fait envisageable. D’autant plus que, malgré la diversité des esthétiques, la sensation de suivre un long et beau déroulé a permis un moment d’émotions douces et variées. Bize, Deux Places et Choc Gazl : six personnes, trois paires et une belle soirée.

On prend conscience, quand se termine le dernier concert, que la parité a été entièrement respectée puisque chaque couple est constitué d’une musicienne et d’un musicien. Preuve que, une fois acquise la nécessité de laisser autant la place aux femmes qu’aux hommes, voire ne plus se soucier du sexe des anges, l’expression artistique et musicale n’est que le fait des sensibilités humaines.

En l’occurrence, ici, et d’abord, sur le plateau, le duo Bize.
A défaut de pouvoir la pratiquer sereinement, puisque les gestes barrières nous la déconseillent, la bise est désormais à voir sur scène. Moins possiblement contaminante, la musique n’en est pas mois contagieuse. Sylvaine Hélary, artiste associée de la salle pour l’année en cours, est à la flûte (ou plutôt aux flûtes) et Robin Fincker au saxophone et à la clarinette. Bize ne renvoie pas, pourtant, au baiser posé sur chacune des joues pour saluer ; mais bien au vent qui court et décoiffe la tête. Né d’une complicité déjà ancienne entre la flûtiste et le saxophoniste (du temps où ils se côtoyaient au sein du Surnatural Orchestra), le duo existe de manière informelle, pour le plaisir d’échanger. Depuis quelque temps maintenant, l’envie d’affermir quelques orientations se fait sentir. Concrétisés par quelques concerts, dont celui-là, un enregistrement puis un disque vont voir le jour.

Bize, c’est le souffle. D’abord parce que les deux musicien.ne.s n’en manquent pas et alimentent en permanence le discours musical. Un flux continu de phrases qui montent et s’entremêlent. Sans connaître les règles de la musique, on sent bien, dans ces espaces d’improvisation, que les notes ont à voir ensemble. Elles se joignent, se frottent, les gammes se croisent et dessinent des faisceaux concordants ou non, des géométries mobiles. Des phrases s’élancent, des mélodies nées de rien s’échappent et aussitôt retournent au vide. Rien n’accroche à cette musique qui, ce soir-là du moins, ne cherche pas les outrances. Seul compte le mouvement et, si la bise est souvent dite glaciale, celle-là l’est uniquement parce que sur la glace, on glisse avec souplesse et rapidité ; la moindre impulsion nous envoie loin. Car pour le reste, le duo est une douceur et l’instant en suspens.

Gilles Coronado, photo Rémi Angéli

Élodie Pasquier, clarinette, et Gilles Coronado, guitare électrique jouent dans Deux places. La musique est complexe et c’est ainsi qu’on l’aime. Elle est faite de structures rythmiques déroutantes, qu’on n’attend pas, qu’on n’entend pas parfois tant Coronado (compositeur des pièces jouées) intériorise le rythme pour n’en faire ressortir que les fourches caudines. Et quelles crêtes, d’ailleurs !, celles où l’on respire un air désoxygéné, pur, là où virevolte la clarinette stratosphérique de sa partenaire de jeu qui vibrionne comme un oiseau, attentive et légère, insoucieuse de ce que racontent les phrases alambiquées du guitariste.

Trapèze d’altitude, cordes aériennes, le duo joue sur un fil souvent invisible. Complexe de s’y repérer mais délice de s’y perdre. Les musiciens pourtant ne sont pas de mauvaises gens (et la complicité du duo, son envie de partage, y compris avec le public, en attestent), quand l’oreille s’égare, un riff libéré, de captif devient captivant. Un motif, comme un gimmick asséné, nous remet dans le droit chemin. Le set court (chaque duo joue le jeu de la brièveté) est construit intelligemment et nous laisse sur notre faim, certes, mais cependant comblé.

Choc Gazl, photo Rémi Angéli

Ils ont quitté les berges de la Garonne pour celles de la Loire. Venu de Toulouse, Choc Gazl réunit la chanteuse et batteuse Lila Fraysse et le guitariste électrique Nicolas Lafourest pour un répertoire au carrefour de plusieurs esthétiques. C’est de la chanson avant tout. En occitan, s’il vous plaît, cette langue chantante qui se prête tellement à la musique, ou parfois en espagnol qui trimbale son lot de chaleur brutale et de tragédie. Une chanson, populaire par conviction, puisée dans le répertoire traditionnel des siècles passés, du Moyen-Age à Chuck Berry ou dans des compositions personnelles.

La force de ce duo réside dans la somme de deux individualités. La chanteuse est solaire, la voix est claire et haute. Elle joue de la batterie avec un art distingué du minimum. Terrienne dans sa pratique, son chant s’élève haut et pur et le contraste est fructueux. A ses côtés, le guitariste est secret mais son jeu est nerveux. Les attaques sont franches et toujours cherchent à mener plus loin encore les pièces interprétées. Ensemble, ils emportent l’auditoire sur des méandres nouveaux, plus directs, plus écrits que dans les duos précédents et qui sont un voyage vers ailleurs, une respiration nouvelle. Le souffle, toujours.