Chronique

Emmanuel Scarpa

Invisible Worlds

Emmanuel Scarpa (dm) + invités

Label / Distribution : Coax Records

Membre d’une grande variété de projets (Marteau-Matraque, Ensemble Op.Cit. et Radiation 10), partenaire de collectifs (La Forge, Collectif Coax), leader de formations (entre autres Umlaut, Umlaut Double Trio), également compositeur pour différents ensembles (Quatuor Béla), Emmanuel Scarpa signe avec Invisible Worlds un premier disque sous son nom seul. Derrière cette volonté de prendre en charge l’entièreté du projet, on perçoit le désir de réunir dans une esthétique œcuménique les influences diverses qui le traversent sur ces neuf pistes.

Si le risque de proposer un catalogue complet mais maladroitement disparate était réel, l’ensemble est tout à fait homogène, lié par un fil que personne ne distingue. La voix (lyrique - celle d’Anne Magouët - ou pop - celle de Scarpa lui-même, aux inflexions évoquant Robert Wyatt), les guitares rock ou la musique contemporaine sont en effet abordés tour à tour mais le résultat, constitué autant d’un travail sur les compositions que d’un style indéniablement ferme, transcende les genres.

Des structures rythmiques complexes qui bifurquent en permanence et donnent un sentiment d’instabilité (c’est le cas sur le titre “… they are getting through”) s’opposent à des moments binaires où la basse saturée et punkoïde d’Olivier Lété devient le terrain de jeu de guitares bruitistes (belle complémentarité de Julien Desprez et Marc Ducret). Pourtant dans cette approche métrique qui pourrait n’être que le résultat des divagations absconses d’un batteur cérébral, le soin porté aux alliages de timbres fait sens. Le piano de Frédéric Escoffier, la flûte de Sylvaine Hélary, le violoncelle de Noémi Boutin et le saxophone de Pierre-Antoine Badaroux se fondent dans le fer des cordes électriques et les entraînent dans une forme d’anoblissement dont l’étrangeté aiguë est d’une délicate poésie.

Leurs interventions insolites (sur “Tangible Worlds” notamment) trouvent, en effet, leur source dans les paysages ouverts qu’Emmanuel Scarpa prend soin de dessiner au travers de cycles étendus à la respiration posée. Sa musique, située à un point nodal qui voit se croiser une articulation riche et une largeur de vue certaine, se dresse pour fendre le silence avec une pertinence qui fait mouche.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 19 mars 2017
P.-S. :

avec Pierre-Antoine Badaroux (s), Noémi Boutin (cello), Julien Desprez (eg), Marc Ducret (eg), Frédéric Escoffier (p), Sylvain Hélary (fl), Olivier Lété (b), Anne Magouët (voc)