Chronique

Satoko Fujii & Joe Fonda

Four

Satoko Fujii (p), Joe Fonda (b, fl) + Natsuki Tamura (tp)

Label / Distribution : Long Song Records

Pour beaucoup, en Europe, Satoko Fujii, c’est du vent, mais aussi de la pierre. La pianiste est d’abord connue pour sa participation à Kaze, le vent en japonais, avec Peter Orins, Christian Pruvost et surtout son vieux compagnon Natsuki Tamura. Elle a un large éventail de collaborations de chaque côté de l’Atlantique et du Pacifique, mais c’est in fine toujours le trompettiste que l’on retrouve à ses côtés. Histoire peut-être que cette fille du vent engendre plus aisément la tempête. Dans « Cannot Do More », en duo avec Joe Fonda, elle n’a pourtant pas besoin d’embouchure. Son jeu est simple, épuré, se coule dans l’archet du contrebassiste comme dans les interstices d’une mélancolie, avec une main droite aussi légère que furtive.

On se souvient d’avoir entendu la pianiste il y a quelques mois pour Stone, un disque de deuil qui devait nécessairement se mener seul. C’est avec une joie certaine que nous la retrouvons avec Four, qui comme son nom ne l’indique pas est un duo augmenté. Four, c’était aussi le nom de son orchestre avec, outre Tamura, Jim Black et Mark Dresser. Ici, le trompettiste s’invite dans le contemplatif « Stars in Complete Darkness », longue conversation pleine de douceur où Fonda fait montre d’une grande placidité et dessine avec les deux Japonais une carte stellaire en constant mouvement, rupture totale avec la quiétude passée. Alors Four signifie-t-il quatre comme les points cardinaux ? Est-il encore question du vent ? « The Wind As It Bends » a la réponse, et elle est turbulente comme il se doit : la pianiste prend la main, et elle ne se lasse pas d’aller narguer les infrabasses de Fonda avec les plus cristallines de ses touches avant de trouver une certaine concorde. L’immédiateté de la bourrasque.

Le souffle en tout cas est omniprésent. Joe Fonda à la flûte, c’est un événement rare, qui offre ici pleinement son potentiel. « Gift From Bill » est à la fois velouté et inquiétant, Fujii n’hésitant pas à faire vibrer les cordes au cœur de son piano. L’atmosphère est cotonneuse, propice au rêve, sans qu’on soit certain qu’il ne vire pas au sombre au moindre mouvement. Lorsque l’archet revient, le piano préparé s’invite à pas comptés à sa sonorité naturelle, reprend pied dans une réalité plus tangible… Mais dans cette odyssée chambriste de l’infiniment petit, chaque petit détour, chaque altération est une grande traversée. Avec l’ode poétique qui l’accompagne. Ce voyage vaut assurément le détour.

par Franpi Barriaux // Publié le 9 février 2020
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