Chronique

Walabix

Nus

Quentin Biardeau (ts, ss), Gabriel Lemaire (as, cl) Valentin Ceccaldi (cello), Adrien Chennebault (dms)

Label / Distribution : Tricollection

Repérés et plébiscités pour le splendide trio Marcel et Solange, les Orléanais du Tricollectif ont su, en quelques disques, imposer une esthétique et une approche singulière qui se situe dans une nébuleuse riche à la topographie incertaine, entre musiques contemporaines et musiques improvisées. Cette identité forte, le Tricollectif l’a assumé en fondant Tricollection, label dont le quartet Walabix est la première référence, sans doute parce qu’à maints égard, il synthétise, avec le magnifique Nus, les tentations chambristes et l’énergie éprise de liberté qui parcourt l’échine de chaque formation.

Après avoir placé le collectif sous le tendre marrainage de Joëlle Léandre, c’est à un autre contrebassiste qu’est confiée la direction artistique de Nus ; le choix de Sébastien Boisseau pourrait sembler paradoxal pour un quartet où le violoncelle de Valentin Ceccaldi prend la place de la rythmique. Mais les premières mesures de « Perceuse » dissipent tout questionnement tant on croit reconnaître dans les torsades des deux saxophonistes (Quentin Biardeau et Gabriel Lemaire) une filiation directe avec certaines œuvres du label Yolk. (On pense notamment à Wavin’ ou, mieux, à Frasques de Guillaume Hazebrouck, deux albums où l’on pouvait entendre la grande musicalité de Boisseau. Si le violoncelle est au cœur de ce trio, à la fois socle et coordonnateur des timbres, ce sont les soufflants qui fondent cette ambiance à la fois complexe et limpide ; dans « Troubles I », le jeu incisif de Biardeau s’équilibre idéalement avec le souffle de Lemaire, rugueux comme du mâchefer. C’est ce travail de symétrie qui donne son relief à la musique.

Signés pour la plupart par Ceccaldi et Biardeau - que l’on retrouve dans Marcel et Solange -, les morceaux de Walabix partagent avec ce trio une ambiance diffuse et opaque d’aube brumeuse. C’est le cas de l’indolent « Tourner tout droit », miniature où les pizzicati du violoncelle caressent une mélodie alanguie dont on ne sait plus, au fil de l’alto sablonneux de Lemaire, s’il tombe du ciel ou s’il sourd de la terre. Grâce au jeu très coloriste du batteur Adrien Chennebault, que l’on peut voir aux côtés du pianiste Roberto Negro au sein de La Scala, autre formation membre du Tricollectif, Walabix prend un relief très pictural, plus doux mais tout aussi poétique. Il peut être fait de traits fulgurants, comme cet échauffement progressif de l’alto et du ténor dans « Les Yeux de Natalia », et d’à-plats bâtisseurs qui offrent à Ceccaldi de doux moments d’évasion, dans la quiétude de « Sage comme un mirage ».

Nus, les musiciens du quartet le sont absolument, livrés entiers à leur musique. Contrairement à ce qui se passe dans les aventures de Marcel et Solange, nulle électricité ne vient densifier un propos très organique et cru. Même lorsque les esprits s’échauffent (« Un os dans le bas du coup »), que l’archet de Valentin Ceccaldi devient plus âpre, ou que Chennebault délaisse ses effleurements très musicaux pour assumer une rythmique plus franche (« Dodouce »), tout conserve l’aspect non-académique des corps charnus et sensuels. On prend beaucoup de plaisir à errer dans cet univers où le dépouillement suscite plus d’appétit que d’austérité. Dans ce Tricollectif, il n’y a décidément rien à jeter.