Chronique

Yes Trio

Groove du jour

Aaron Goldberg (p), Omer Avital (b), Ali Jackson (dm)

Label / Distribution : Jazz&People

Ces trois-là ont dépassé les codes du truc à trois ! Le premier thème, « Escalier » est d’ailleurs une remarquable construction tripartite, où les instruments dépassent le jeu traditionnel des questions/réponses pour ne faire qu’un.

Le batteur, Ali Jackson, a tenu les fûts auprès de la fine fleur des jazz(wo)men contemporains, tant dans une optique « traditionnelle » auprès d’un Wynton Marsalis que dans une quête « moderne » auprès de Joshua Redman. Faisant fructifier son sens profondément enraciné de la soul, ne dédaignant pas le recours au tambourin façon gospel, en particulier sur « C’est clair » (ce n’est pas pour rien qu’Aretha Franklin l’avait embauché), il fait montre d’une redoutable habileté au charleston - comme son mentor Max Roach, que l’on surnommait « Mr Hi-Hat » - et d’une grande sensualité à la grosse caisse - un peu comme son autre mentor, Elvin Jones.

Sûr que son compère pianiste Aaron Goldberg est nanti de dispositions similaires, nonobstant les différences sociales (le précédent venant du prolétariat noir de Brooklyn, lui venant de la bourgeoisie juive bostonienne) : militant d’un « jazz de l’instant » (et donc de l’instinct), il conjugue ici l’esprit vif de ses réflexes harmoniques, la fluidité de ses lignes mélodiques et son sens narratif, n’hésitant pas à épicer le menu de quelques citations enlevées (« A Night in Tunisia » sur « Tokyo Dreams »), ou convoquant les mânes d’un Fats Waller et son humour mélancolique, voire d’un Hampton Hawes et son bop gospel.

Quant au « pivot » du trio, Omer Avital, le « Mingus israélien » qui franchit la frontière américaine avec son collègue d’instrument Avishai Cohen (le bassiste, pas le trompettiste, bien qu’il joue régulièrement avec ce dernier) au début des années quatre-vingt-dix, il exprime ici un vrai plaisir tant dans l’accompagnement que dans ses chorus. C’est le chant cool d’un Lester Young que l’on entend dans ses solos, notamment sur le standard « I’ll Be Seeing You » : décontraction, dépassement des structures harmoniques, infimes décalages sur les mesures. Son art fugace relève de l’embuscade poétique.

Dans un cirque, ces trois-là seraient des funambules du swing. Dédaignant toute peur du vide, le trio se plaît à briser et restaurer le tempo avec une aisance confondante, conservant un sens de la mélodie jusque dans de stupéfiantes séquences polyrythmiques. Yes ! Trio, formé lors de jam-sessions au légendaire club new-yorkais Smalls, offre un condensé réjouissant et virtuose de couleurs et de bonne humeur. Leur menu est alléchant. Vivement le prochain repas parce que là, on a vraiment faim !