Chronique

Enzo Carniel House of Echo

Wallsdown

Enzo Carniel (p, elp), Marc-Antoine Pierro (g), Simon Tailleu (b), Ariel Tessier (dm)

Label / Distribution : Jazz&People

Huit ans déjà que le pianiste d’origine provençale Enzo Carniel et le guitariste Marc-Antoine Perrio ont élaboré la Maison de l’Echo. Un bâtiment sans murs et aux fondations fluides. Conçu comme la bande-son d’une nouvelle d’anticipation mettant en scène des musiciens pratiquant des rituels résilients dans un monde en voie d’effondrement (cela ne vous rappelle rien, vraiment ?), « Wallsdown » est une archéologie du futur du jazz. L’appétence de Carniel et son gang pour les musiques électroniques et l’ambient ne leur fait pas perdre de vue les horizons de la nature (restitution de sons de cailloux s’entrechoquant façon field-recording sur « Tons of Stone »), voire même de l’acoustique pure (remarquable prise de son des percussions « ethniques »). Sans ignorer l’apport des musiques sérielles et répétitives, dont le pianiste architecte sonore se repaît et nous nourrit avec délectation.

Le patrimoine musical du groupe, puisant aux sources evansienne et coltranienne, est loin d’être passéiste : il se fait futuriste. Du pianiste Bill Evans, le quartet, qui semble en avoir exploré l’œuvre dans les moindres recoins, retient la leçon d’une respiration profonde aux aspirations polyrythmiques et d’un grand sens de l’interplay, rappelant, comme les collapsologues, que l’entraide est l’autre loi de la jungle. De Coltrane, le groupe, marche sur les traces du mysticisme plus que de la spiritualité, convoquant quelques mantras et des formules rythmiques et harmoniques qui lorgnent vers l’universel. Les arpèges de piano de Carniel articulés avec le jeu disruptif d’Ariel Tessier à la batterie résonnent comme autant de ces ragas indiens dont s’abreuvent les meilleurs des jazzmen. Pas de coltranisme donc, ces figures de style désormais trop usitées, qui pourraient aussi devenir des murs à abattre pour House of Echo, mais bien plutôt une invitation à se prélasser sous l’ombre portée du souffleur suprême qui était friand de cette magie rythmique.

Pour un peu, l’architecture de cette maison sans murs aurait un côté baroque, tant les formes sont libres et les ornementations foisonnent. Dans cette construction volontairement instable, la contrebasse de Simon Tailleu joue un grand rôle, tant dans quelque introduction méditative à l’archet (« Winds ») qu’au détour d’une coda sublime avec le piano sur « Traya », manifeste de l’effondrement. Les sons de guitare, eux, forment des arches sensorielles aux déclinaisons infinies, appelant parfois à briser quelque mur en projet par un riff « tex-mex » comme sur « Dreamhouse » ou bien renforçant, par une cocotte bien sentie, une marche émancipatrice en forme de fugue (fuite) avec notre nature comme horizon contemplatif (« Unwall »). Ce groupe est ainsi composé d’autant de furtifs, ces trublions du capitalocène que met en scène l’écrivain Alain Damasio dans son roman éponyme. Ainsi des interventions spoken word du rappeur Bruce Sherfield, susurrées plus que déclamées, qui nous bercent d’onirisme.
Il ne nous reste plus qu’à les rejoindre dans une danse jubilatoire autour de ces « Ruines circulaires » qui mettent à bas tout processus de domination, même dans le jazz, pour enfin jouir des entrelacs colorés que délivre l’ultime pièce de l’album, « Wallsdown », où la batterie se fait oublier alors que, in fine, c’est elle qui mène la danse. Furtivement, bien sûr.

par Laurent Dussutour // Publié le 22 novembre 2020
P.-S. :

Avec : Bruce Sherfield (voc)