Scènes

Jazz à Luz, 29e édition

Bientôt trente ans que Jazz à Luz empêche de tourner en rond.


l’ONJ de Fred Maurin (c) Michel Laborde

Ils ont bien raison de proposer des musiques audacieuses. Ils prennent des risques pour sûr, mais comment pratiquer un jazz montagnard si ce n’est en chaussant les crampons et en s’équipant de piolets ? Car c’est bien du tout-terrain que le festival des Hautes-Pyrénées propose et, comme on le sait tous, l’air de la montagne est le plus sain.

Pfffiou ! A partir de Lourdes, la route pour accéder à Luz Saint-Sauveur n’en finit pas ; d’autant plus qu’en cette mi-juillet, la chaussée est en cours de réfection. Ça crépite sous la voiture et ça sent le bitume dans tout l’habitacle. Le passage imminent du Tour de France, que rappellent quelques panneaux, n’y est sûrement pas étranger. Bref, Luz, ça se mérite.

En revanche, lorsqu’on quitte enfin la voiture, on hume un parfum de festival bien particulier. Car Luz n’est pas du genre qui se compromet dans une programmation ou un fonctionnement policés ; quelques connaisseurs nostalgiques feront volontiers le parallèle avec feu Assier dans tous ses états. Même décontraction apparente, même ambiance généreuse, en même temps que ça turbine dur. En ce début d’édition, dans le Verger, véritable QG du festival, les Jolly Rogers, un collectif d’architectes, improvisent des constructions éphémères qui accueilleront quelques heures plus tard la billetterie, la cantine – délicieuse au demeurant – ou encore la sempiternelle et indispensable buvette. Ils ne sont pas les seuls bénévoles, loin de là, mais leur implication est à l’image du festival : iconoclaste.

Sous le chapiteau entouré de montagnes, il y a quelque chose de sauvage

Pour l’ouverture de cette édition, les programmateurs n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Ces militants mélomanes ont programmé rien de moins que l’ONJ de Fred Maurin et quand on connaît le talent de celui qui a monté Ping Machine, il y a de quoi saliver. Sur la scène, annonçant le concert, Jean-Pierre Layrac ne dit pas autre chose quand il affirme que présenter l’ONJ sur un programme dédié à la musique d’Ornette Coleman était indispensable. On ajoutera même salvateur car l’orchestre savamment composé de musiciens européens est exquis. Ce qu’on note avant tout c’est que l’ONJ n’a rien à voir avec Ping Machine. Ce n’est ni moins bien ni mieux, c’est autre chose et en ce sens c’est conforme au souhait de Fred Maurin qui trouvait peu pertinent d’utiliser son mandat au sein de l’ONJ pour continuer Ping Machine. A quoi bon en effet ? A la tête de l’ONJ, il ambitionne de toucher un public plus large allant de l’esthète averti, féru de musiques dites « difficiles », au mélomane de passage. L’intention est louable et le tour de force opéré et réussi est de ne pas céder un micromillimètre à la facilité.

(c) Michel Laborde

Sur la scène, Pierre Durand, devant et au milieu, est en quelque sorte la figure de proue. C’est d’ailleurs lui qui prend le premier chorus sur un morceau qui rassemble « Una muy bonita », « Ramblin’ », « WRU » et une partie de « Trigonometry ». Mais derrière, l’ensemble des souffleurs – dont Tim Berne invité sur ce projet – insuffle beaucoup d’énergie à ce grand navire. Le chorus de Julien Soro sur « Good Old Days », celui de Fabien Debellefontaine sur « Feet Music » ou encore la puissance de feu de Jean-Michel Couchet sur ce même morceau disent ce qu’il y a de phénoménal dans ce projet. Et ce d’un bout à l’autre du concert puisque parmi tous les musiciens, on verra la trompettiste Susana Santos Silva, véritablement en vogue sur la scène européenne, donner un solo fulgurant. Sous le chapiteau entouré de montagnes, il y a quelque chose de sauvage dans la lecture de ce répertoire, une espèce de brutalité adroitement domptée et le public, parmi lequel beaucoup d’habitués de ce festival hors norme, en a heureusement redemandé.

(c) Michel Laborde

Mais à Luz, tout ne se déroule pas sous un chapiteau. Il n’y a pas de off et les régalades musicales peuvent se savourer en tout lieu et toute heure du jour et de la nuit. Après l’intensité de l’ONJ, c’est Merversible qui s’est attaqué à la chose. La formation, un dectet, se pose autour de minuit dans le verger en acoustique. On trouve là des musiciens qu’on a eu l’occasion de voir dans des groupes et des projets tout aussi excellents que celui-ci. Ils sont pour la plupart des habitués des musiques improvisées ainsi qu’en témoigne la présence de Florian Nastorg, leader de cette incroyable formation, de Sébastien Cirotteau ou encore de Marc Maffiolo et son gigantesque sax basse. Il y a quelque chose de clownesque ici. Mais les pitreries de ces enfants de la balle sont surtout excellentes et derrière les costumes tout de guingois et dépareillés, il y a des valses, des javas et des pièces bougrement colorées. Et tout ça est finalement à l’image de ce festival. Il n’y a pas de norme sinon celles qu’on discutera encore et encore.