Zoh Amba, l’étincelle
Rencontre avec Zoh Amba, saxophoniste d’avenir.
Zoh Amba © Christophe Charpenel
Elle va mettre le feu aux poudres. C’est le sentiment qui vient en premier lorsqu’on découvre la saxophoniste étasunienne Zoh Amba, native du Tennessee. Son ample, puissant, empli de sentiments complexes qui vous touche droit aux tripes, en passant en premier par le cœur. Car passée la première impression d’un free brut, direct et plein de promesses, on découvre une forme de pureté qui fait corps avec les éléments et va chercher une part spirituelle dépassant largement le simple chaos pour traduire l’amour profond de la nature qui anime la jeune femme. Son nom bruisse depuis quelques mois de l’autre côté de l’Atlantique, notamment avec Chris Corsano. Mais la sortie de Bhakti, avec le pianiste Micah Tomas et le batteur Tyshawn Sorey, la consacre comme l’une des plus grands espoirs du jazz mondial. Rencontre - la première en Europe - avec une artiste entière.
- Zoh Amba © Christophe Charpenel
- Vous venez du Tennessee ; adolescente, vous jouiez du saxophone dans la forêt proche de votre ville de Kingsport. Est-ce que cette expérience a contribué à forger votre son ?
Tout ce que nous vivons depuis la naissance et au-delà façonne notre son, notre cœur.
Je pense qu’il est important de préciser qu’avant tout, si je suis partie là-bas, c’est parce que ma mère ne comprenait pas le saxophone. Depuis ce jour, j’ai commencé à voir la terre, la musique et tout le reste comme un tout. Rien n’est séparé. J’ai ressenti que l’amour divin que je recherche avant tout s’incarne dans la musique. C’était une bénédiction. Oui, les arbres, les oiseaux, la terre, le vent, le soleil, la lune : j’y pense toujours et ça remplit mon cœur de tant de joie que j’en souris chaque jour.
- © Jean-Michel Thiriet
- Pensez-vous que votre musique aurait eu la même dimension si vous n’aviez pas été aussi proche de la nature et des éléments, en grandissant dans une grande ville par exemple ?
Je le pense, oui. Je pense que l’âme serait la même, mais si j’étais née dans une famille ou une vie différente, ce serait bien sûr une musique différente d’une certaine manière. C’est pourquoi aucune de nos musiques ne ressemble vraiment aux autres. Mais elles sont pourtant toutes magnifiques.
Je suis pleinement convaincue de jouer une musique pieuse
- Vous préférez le terme « spontanée » pour évoquer votre musique, davantage que « free jazz ». Est-ce une manière de vous débarrasser des étiquettes ?
Je suis pleinement convaincue de jouer une musique pieuse. Oui, je crois que j’ai une forte sensibilité à ce sujet, comme pour tant d’autres. Je pense que cela va bien plus loin que les étiquettes. Mais je ne souhaite pas m’étendre sur ce sujet… Je joue avec mon cœur, c’est tout ce que je sais.
- Zoh Amba © Christophe Charpenel
- Cette dévotion et cette spiritualité que vous évoquez vous donnent-elles envie d’aller vers une musique plus écrite à l’avenir, ou voulez-vous garder cette approche plus brute, plus proche des éléments ?
J’ai beaucoup réfléchi à cette question à l’heure actuelle. Je prends note de beaucoup de concepts à propos de ma façon de lire la musique et de l’entendre. Je ne note pas les choses dans un sens traditionnel. Même les contours des montagnes et la belle odeur dans l’air font naître des mélodies venant du cœur. Une grande partie des musiques que je joue sont simplement gravées dans le cœur. Je n’aime pas l’idée de les écrire parce que ce ne sont que des petites mélodies qui me viennent du cœur et correspondent à une période de ma vie. Tout passe et des mélodies différentes viennent à des moments différents.
Si vous avez une idée précise ou si vous essayez de capturer un son très spécifique, la seule façon est parfois de le noter - je pense, non ?
Parce que les mots, j’ai du mal à les manier. Mais aussi parce que je ne suis pas toujours d’accord avec moi-même. J’essaie de trouver un équilibre. Mais quelle que soit la manière de l’aborder, écrite ou non, elle sera toujours et pour toujours brute et viendra du plus profond de moi-même.
- Pouvez-vous nous parler de Bhakti ? Comment s’est construit l’orchestre ? Comment s’est déroulée votre rencontre avec Micah Thomas ?
Bhakti est une passion sans fin et un amour absolu. Micah Thomas est l’un des plus merveilleux artistes que j’aie jamais rencontrés. J’ai eu de grandes amitiés avec les deux musiciens, longtemps avant que nous ne jouions ensemble. Je les aime profondément.
La période où nous avons enregistré a probablement été le moment le plus difficile de ma vie. J’avais énormément d’amour et de douleur qui étreignaient mon cœur. Alors on s’est réunis, on a vidé ce que nous avions sur le cœur pour le remplir à nouveau. Je chérirai ce moment pour toujours.
- Globalement, quelles sont vos influences ?
Je médite chaque jour. Je passe beaucoup de temps dans le jardin, je m’allonge dans l’herbe, je regarde le soleil. La musique est tout et chaque jour, je me sens si reconnaissante et bénie d’avoir une vie consacrée à la musique.
C’est assez personnel, mais quand j’étais petite, je tenais mon instrument serré, je pleurais et je remerciais les artistes sacrés du son. Ces âmes sont vraiment comme une famille pour moi, alors que je n’en avais pas vraiment et elles m’ont rendue reconnaissante pour la vie et le monde.
Même les contours des montagnes et la belle odeur dans l’air font naître des mélodies venant du cœur…
- Vous tournez actuellement en Europe avec Chris Corsano : est-ce que l’explosivité de ce batteur est ce qui correspond le mieux à votre spontanéité ?
Chris Corsano m’inspire énormément et me pousse beaucoup musicalement. La première fois que je l’ai entendu jouer, j’ai eu l’impression d’écouter de la musique pour la première fois. C’est vraiment une bénédiction de pouvoir jouer ensemble. C’est un chemin sans fin et pavé de beauté !
- Avec quels musiciens, notamment sur la scène européenne, aimeriez vous collaborer dans les années à venir ?
J’aime beaucoup Farida Amadou, Nick Dunston, Mette Rasmussen. Leur musique remplit grandement mon cœur. J’aime aussi les âmes que je ne connais pas encore. Il y a de belles personnes dans tous les endroits. J’espère découvrir d’autres sons cette année.
- Zoh Amba © Christophe Charpenel
- Quels sont vos projets musicaux dans cette année à venir ?
Je suis reconnaissante pour les nombreuses premières rencontres à venir. Je vais commencer à travailler avec Alam Khan. C’est tellement divin. Je pourrais en pleurer de joie ! Steve Gunn et moi allons faire des choses ensemble. Je vais continuer à jouer intensément avec mon trio Bhakti. J’ai doucement commencé à écrire une suite d’hymnes sacrés. Je travaille également sur le son et l’aspect sonore des sons.
Il y a ce chant perpétuel dans le cœur, de diverses manières. J’essaie d’écouter profondément, d’être patient avec lui et de respecter son grand silence. De l’aimer, de le protéger et de le laisser me guider dans cette modeste vie.
Je travaille actuellement sur un disque. En ce moment, il s’agit de plonger profondément et de permettre au cœur de faire ce qu’il veut. Être aimant et patient avec son esprit et savoir quand aller s’allonger dans l’herbe pendant un moment et regarder le soleil. Il trace le chemin.