Chronique

Frédéric Borey Butterflies Trio

Frédéric Borey (ts), Damien Varaillon (b), Stéphane Adsuar (dm)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

On pourrait facilement qualifier la musique du Butterflies Trio de Frédéric Borey de « jazz de chambre », tant elle apparaît susurrée. Il y a quelque chose de Joe Lovano dans son jeu : un infini respect de la tradition par sa quête éperdue du dépassement de celle-ci dans l’exploration du moindre intervalle, dans le respect du silence entre deux notes. Le saxophone de ce maître de l’instrument, qui donne des master-classes et des ateliers jusqu’au Mexique, prend en effet des contours éthérés, avec des phrases qui s’envolent comme les volutes de fumée d’une cigarette après l’amour. Ses compositions sont autant de pièces intimes marquées du sceau du désir.

Pour autant, le répertoire déployé sur ce disque n’a pas pour seul horizon un espace confiné, quels qu’en soient les usages. Il prend les contours d’une sorte de biodiversité jazz fondée sur un jeu de groupe aux interactions si naturelles qu’elles en deviennent presque imperceptibles. Si le saxophoniste fait le choix de ne pas déployer toutes ses possibilités d’expression sur l’instrument (on le sait capable d’envoyer du lourd, façon honker coltranien), c’est parce que, en vrai leader, il refuse d’exprimer quelque pouvoir que ce soit à titre individuel, allant jusqu’à porter le groupe en utilisant son ténor comme un instrument harmonique, en soutien aux chorus de ses compères. Et quels compagnons de jeu ! Stéphane Adsuar fait chanter sa batterie plus que jamais : fin mélodiste, il déploie une élégance somptueuse par une maîtrise superlative de son instrument sans oublier de composer un titre d’une rare intensité (« Au commencement »). Son affinité avec le contrebassiste Damien Varaillon n’est plus à prouver : elle est d’une évidence qu’on croirait innée, si l’on ne savait pas l’investissement corps et âme de ces deux musiciens d’exception dans les répertoires pour lesquels ils sont conviés à s’exprimer. Varaillon, lui-même auteur de trois compositions (notamment un blues mingusien, « Gentleman’s Agreement »), déroule des lignes de basse d’une pertinence et d’une poésie peu communes sur l’instrument.

Ce trio de papillons originel (que le leader qualifie d’ « acrobates ») ne pouvait qu’intégrer la guitare gracile de Lionel Loueke avec une évidence au sens quasiment monkien du terme : avec le musicien d’origine béninoise qui gravite dans les hautes sphères de la planète jazz, aux côtés d’un Herbie Hancock notamment, on les entend prendre un malin plaisir à casser les tempos, à chercher à jouer « contre » pour mieux faire ressortir leur sens collectif de l’entraide. C’est qu’entre Loueke et Borey, l’histoire d’amitié dure depuis près d’un quart de siècle. Alors, dès que l’agenda du premier le permet, place à la création la plus affûtée (« That’s it, that’s the one » clame le guitariste en fin d’une prise), et même, pourquoi pas, à la chanson la plus mélodieuse (« Camille », une composition du guitariste qui a tout d’un hit), avec des atours ouest-africains (« Do Hwe Wutu » - grâce à toi en béninois - avec ostinato et motifs répétitifs confinant à la transe : une composition de Borey), jusqu’à un duo sax/guitare dont le dénuement crée des étincelles (« Lou »). On n’a qu’une envie : se replonger dans l’écoute de ce disque empli de pépites qui n’attendent que d’être découvertes, encore et encore…