Entretien

Alban Darche

Un des musiciens phares de la scène française et européenne… Discussion autour de son actualité riche et plurielle.

La sortie d’un nouveau disque d’Alban Darche est aujourd’hui attendue par de plus en plus de monde. Membre fondateur du collectif et label Yolk, leader de nombreux groupes (le Gros Cube, le Cube, son trio, Trumpet Kingdom), partenaire de Gábor Gadó, il construit une discographie passionnante qui fait de lui un des musiciens phares de la scène française et européenne.

- Tout d’abord, un sujet d’actualité : le paysage médiatique subit des évolutions importantes, notamment avec la fusion entre Jazzman et Jazz Magazine et la disparition de Muziq. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ça va amplifier les problèmes existants, c’est-à-dire le manque de relais pour les musiciens, notamment les plus jeunes, dont certains ont de grandes qualités. L’autre risque lié à la diminution de l’offre journalistique est que tous les styles ne vont pas bénéficier d’une couverture médiatique, ce qui est compréhensible mais dangereux.

- Votre actualité à vous, maintenant, avec la sortie de votre nouveau disque en trio. Après Trickster, très bien accueilli, c’est Brut ou demi-sec ?, trio « à quatre » avec Alexis Thérain en invité. Comment s’est faite la rencontre ?

Alexis Thérain fait partie du trio de Geoffroy Tamisier. Nous avons donc eu plusieurs fois l’occasion de jouer ensemble lors des concerts associant les deux trios au sein d’un même groupe. Par la suite, lorsque Fred Chiffoleau n’était pas disponible pour jouer avec son trio, Geoffroy a fait appel à moi aux côtés d’Alexis. Et inversement, lorsque Fred était absent pour une date avec mon groupe, ce dernier assurait l’intérim. J’apprécie beaucoup l’homme et le musicien, et l’idée de l’invité pour ce disque en trio a fait son chemin.

AD3+1 - Brut ou demi-sec ?

- Sera-t-il avec vous pour les concerts à venir ?

Oui, l’aventure à quatre va se poursuivre.

- La musique de Brut ou demi-sec ? sonne comme une suite logique de Trickster : on retrouve le travail sur la polyrythmie qui est une de vos signatures, au service d’une musique toujours très mélodique, du genre à vous hanter toute la journée, comme une mélodie pop. Comment composez-vous, en alliant ces éléments pas nécessairement évidents à marier ?

Je recherche toujours une certaine fraîcheur. C’est pour moi un aspect fondamental de la musique. J’ai été surpris et flatté de l’accueil réservé à Trickster. J’espère que ce nouvel album sera également bien reçu. Il n’est pas facile d’arriver à produire quelque chose de naturel et de complexe à la fois. On ne peut jamais prédire ce que l’arrivée d’un disque va susciter. Alors quand on y a mis ce qu’on aime, sans chercher la facilité, et que les auditeurs sont au rendez-vous, c’est super.

- On note une utilisation régulière de boucles d’instruments qui se démultiplient. En fin de compte, la musique sonne de façon quasi orchestrale.

J’aime travailler dans ce sens en studio. Nous en avons les moyens techniques. Mais au final, nous n’utilisons qu’une simple boucle. Ça offre des possibilités d’enrichir la musique. Pour la tournée, le matériau sera plus souple que sur le disque.

- Au sein du trio, on vous sent plus instrumentiste qu’avec le Gros Cube par exemple. Quel est votre rapport à l’instrument ?

Un rapport d’instrumentiste normal, il me semble, qui essaie de maîtriser suffisamment son instrument pour pouvoir dire à travers lui ce qu’il désire. C’est justement pour avoir la place de m’exprimer à travers le saxophone que j’ai réuni ce trio, car bien sûr ma place en tant qu’improvisateur est d’autant réduite que l’orchestre est nombreux…

A. Darche © P. Audoux/Vues sur Scènes

- L’automne marque aussi les premières collaborations entre le collectif Yolk et les musiciens du collectif anglais F_IRE, avec notamment deux soirées organisées au Pannonica. D’où vient cette envie de partager la scène avec eux ?

Depuis un moment déjà, Yolk est ouvert aux travaux d’autres collectifs européens (Cf. l’album ZOOM). Certains musiciens de Yolk connaissaient des gens comme Tom Arthurs ou Ingrid Laubrock. Le choix s’est fait naturellement, sur la base d’une certaine proximité esthétique. C’est une vraie rencontre car nous nous connaissons peu, voire pas du tout pour dans certains cas. Nous avons travaillé en prévision de ces deux soirées qui ont vu notamment Tom Arthurs se joindre au groupe LPT3 et Ingrid Laubrock rejoindre mon Trio+1. Étant donné que nous nous étions rencontrés pour la première fois ou presque, nous avons travaillé sur une musique ouverte, avec beaucoup de liberté, afin que tout le monde se sente à l’aise.

- Est-ce une simple rencontre ou cela marque-t-il le début d’un partenariat à long terme ?

Cette notion d’échange va perdurer, avec sans doute d’autres événements de ce type dans les mois à venir. Nous nous produirons ainsi avec le trio au Vortex (Londres) en novembre. Il est possible qu’à terme ça devienne quelque chose d’institutionnel, nous verrons.

- Puisque l’on parle de collectifs, quels sont les projets en cours chez Yolk, après de nombreuses sorties de disques ces dernières semaines ?

Il y a pas mal de choses en cours. Tout d’abord nous allons bientôt lancer un nouveau site internet. L’objectif est une meilleure maîtrise de notre image et de notre communication. Concernant les productions, nous allons nous recentrer sur le travail des membres du collectif. Nous verrons par la suite si nous recommencerons à produire des albums d’amis.

- La couverture de votre nouvel album est illustrée par vos dessins. L’album Live Forms de Matthieu Donarier comporte également des croquis de lui. La maîtrise de l’image passe par celle de la pochette ?

Oui, pourquoi pas. Ça nous amusait. On verra si on continue dans cette voie.

- Et qu’en est-il du groupe associant les membres du collectif Yolk [1] découvert sur la scène du Pannonica au mois de mai dernier ?

Nous n’avions jamais travaillé sur un projet réunissant exclusivement le noyau dur du collectif. Nous avons l’habitude de travailler tous les cinq ensemble sur les projets des uns ou des autres, notamment au sein du Gros Cube, mais jamais entre nous. Nous avions vraiment envie de nous lancer dans cette aventure. Un album est prévu pour 2010. Nous avons passé commande à Daniel Casimir qui doit signer le répertoire de ce premier disque ; ça permettra une certaine homogénéité.

- Dans l’actualité du collectif, il y a aussi la nouvelle édition du Festival Yolk au Studio de l’Ermitage à Paris. C’est une chance d’avoir une vitrine récurrente pour présenter le travail des musiciens ?

Ce festival nous offre une unité de temps et de lieu. Nous pouvons présenter dans une même salle et en quelques jours un grand nombre de projets issus du collectif. C’est effectivement une grande chance et le partenariat avec le Studio de l’Ermitage se passe très bien. C’est réellement un temps fort pour nous. D’ailleurs, en partie grâce à ce festival, nous commençons à être identifiés. Nous aimons bien cette idée d’un festival au printemps et d’un autre à l’automne, un peu comme dans la haute couture, avec les collections printemps/été et automne/hiver.

- Parmi tous vos projets, il y a aussi le nouveau répertoire du Gros Cube. Vous vous attaquez à Queen ; surprenant non ?

Le leitmotiv est « défendre la pop music » ! J’ai découvert Queen sur le tard, ayant plutôt baigné dans le classique et le jazz durant mon adolescence. Avec Nathalie, ma femme, nous avons sélectionné les morceaux qui nous plaisaient, bien sûr, mais aussi qui offraient des possibilités d’orchestration intéressantes. Puis nous avons affiné la sélection avec les chanteurs, pour qu’ils se sentent à l’aise. Le répertoire est principalement issu des albums Queen II, A Night At The Opera et Jazz.

Le Gros Cube © Patrick Audoux/Vues sur Scènes

- C’est effectivement une des nouveautés : la présence de trois chanteurs au sein du groupe. Avec en plus l’apport d’une pianiste, Nathalie Darche, et d’un technicien lumière. Les grands moyens !

On recherche le côté « show », qu’on trouve dans le rock mais peu dans le jazz. Nous devrions également être costumés ! En fait, le répertoire sera très proche d’un concert à l’autre, tout ayant été prévu et construit comme pour un show.

- Ce nouveau répertoire sera créé durant l’Europa Jazz Festival du Mans en 2010 ?

Oui. Nous pourrons faire une résidence d’une semaine au Quatrain, la scène de Haute Goulaine (Loire-Atlantique) partenaire de la création Queen Bishop. Ça va nous permettre de peaufiner la musique, mais également le travail sur les lumières, comme pour un vrai show rock !

Photo d’Alban Darche : Valery Lorenzo

par Julien Gros-Burdet // Publié le 19 octobre 2009

[1Le collectif Yolk : Matthieu Donarier, Alban Darche, Jean-Louis Pommier, Daniel Casimir, Sébastien Boisseau