Un big band, comment ça marche ?
Questions à Alban Darche, chef d’orchestre et saxophoniste
Alban Darche, photo Michaël Parque
Occupé ces dernières années par l’Orphicube, son petit orchestre miniature de neuf musiciens avec lequel il affine une écriture à mi-chemin entre la félinité joyeuse d’un jazz épris de liberté et une élégance classique aux partitions millimétrées, Alban Darche réactive aujourd’hui le Gros Cube, une grande formation initiée voici vingt ans. Réunissant quelques uns des familiers toujours fidèles et complétée par de nouvelles personnalités internationales, la formation de dix-sept musiciens fait tourner à plein la belle machine orchestrale symbole d’une certaine histoire du jazz.
Pourtant si l’écoute est immédiate, mettre le nez dans le moteur révèle une mécanique de précision qui nécessite une maîtrise certaine du collectif et de tous ses paramètres. A la question “un big band, comment ça marche ?”, Alban Darche apporte des précisions.
En premier lieu, de quoi est constitué un tel orchestre ?
Le big band traditionnel, c’est à dire dans la forme que j’ai voulu utiliser pour mon nouveau Gros Cube, comporte une section de trompettes, une de trombones, une de saxophones (parfois jouant flûtes et/ou clarinettes) et une section rythmique, qui comporte elle-même piano/guitare/contrebasse/batterie. Quatre sections distinctes donc, qui permettent une diffusion spatiale intéressante, et l’utilisation de couleurs orchestrales largement éprouvées.
Les familles d’instruments sont regroupées dans ces sections mais en fonction des compositions, et surtout des compositeurs, l’écriture peut brouiller les pistes, mélangeant les timbres et mixant les rôles. Traditionnellement les sections peuvent s’additionner pour obtenir un son « cuivré », emblématique du big band.
- Matthieu Donarier chez Alban Darche, photo Michael Parque
- Quels rapports instaurez-vous entre ces sections ?
J’aime jouer avec les codes : tantôt utiliser les sections de manière conventionnelle, c’est à dire à la manière de compositeurs qui ont écrit pour big band à travers l’histoire de cette musique, mais également croiser les sections et multiplier les angles de jeu et les assemblages. Quand l’écriture n’est pas partagée en sections homorythmiques, c’est plus compliqué pour les instrumentistes de comprendre leur rôle dans l’orchestre, mais c’est aussi plus excitant de chercher des couleurs nouvelles. Plus il y a de contrepoint, plus le matériau est riche, et plus il permet différents niveaux d’écoute, mais ça implique une interprétation très minutieuse.
- Quel est le rôle de la rythmique ? Celui de la guitare ?
Dans cet orchestre la rythmique fonctionne comme en petite formation, mais la forme et les espaces d’interaction sont cependant très balisés. J’écris souvent les partitions comme des partitions classiques, mais en y ajoutant des à défaut et des chiffrages d’accords pour que chacun.e puisse trouver son équilibre dans l’interprétation entre écriture et liberté.
je propose un matériau comportant les deux notations : partition classique avec des chiffrages d’accord
C’est aussi pour relier deux pratiques qui me sont chères : l’interprétation d’une partition toute écrite (comme en musique classique ou contemporaine) et l’appropriation d’un univers par des digressions et autres improvisations qui permettent de donner de la vie et du relief à l’édifice.
Pour permettre cela je propose un matériau comportant les deux notations : partition classique (toutes les notes et tous les rythmes y sont écrits) mais avec des chiffrages d’accord. Les partitions de piano, guitare, batterie et contrebasse sont donc dans ma musique très précises et complètes, ce qui n’est pas le cas dans tous les big band où parfois elles comportent uniquement des mélodies, des indications rythmiques et des chiffrages, à l’instar de partitions de standards.
- Comment fait-on pour créer une dynamique entre ces différentes parties orchestrales ?
Les nuances. La « machine » big band lancée a tendance à envoyer beaucoup de son, alors il faut diriger l’ensemble en proposant des nuances allant du très piano au très fort. Et bien sûr l’alternance de passages en tutti et de petits sous-ensembles - que ce soit dans l’écriture ou dans les parties improvisées - permet de naturellement jouer des dynamiques variées.
- Quelles sont les difficultés en tant que musiciens pour jouer dans un big band ? Et qu’attendez-vous d’eux en tant que chef d’orchestre ? Et à ce titre, est-ce qu’il est difficile de faire “sonner” un big band ?
En réunissant des musiciens qui ont une grande expérience du big band - ce qui est le cas ici - on peut vite obtenir un « son de big band ». Là où c’est plus difficile, c’est quand je propose une utilisation moins traditionnelle des instruments dans mon écriture, car chacun.e doit être capable d’entendre les autres voix, métriques et couleurs pour mieux comprendre son propre rôle, tout en jouant sa propre partie. Ce processus demande plus de temps, aussi certains morceaux ou passages sont-ils plus longs à faire sonner. Mais le fait d’avoir des spots qui sonnent de façon traditionnelle permet de donner des repères tant aux protagonistes qu’au public. Cet équilibre entre surprise et confort, entre difficulté et plaisir de jeu, est important pour moi.
- En quoi une composition est-elle plus intéressante à adapter au format d’un big band qu’une autre ?
En procédant à une orchestration j’ai l’impression de passer de la seconde à la troisième, d’avoir une palette d’expression décuplée. Je pense la plupart des titres prévus pour petite formation orchestrale pour big band, aussi le choix se fait-il plutôt en matière d’équilibre de programme, afin de constituer un répertoire de concert ou encore un album.
On a assez régulièrement qualifié ma musique de cinématographique et ça me va très bien.
- Comment choisissez-vous la couleur que vous souhaitez donner à une composition ?
Là c’est en fonction du décor que je veux planter et de ce que je veux raconter. On a assez régulièrement qualifié ma musique de cinématographique et ça me va très bien. Je disais de mon orchestre précédent, l’OrphiCube, que je souhaitais y « créer la bande-son d’un film imaginaire », ça reste valable pour ce nouveau Gros Cube. Le format big band permet autant de chercher des couleurs inédites grâce à différentes associations de timbres que de jouer avec les codes conventionnels du big band en le faisant sonner « dans le style de ». Comme pourraient le faire des compositeurs de musiques de films.
- Le travail d’écriture est-il long ? Peut-il évoluer au moment de la mise en son ?
J’écris presque chaque jour. Je n’attends pas que l’inspiration vienne, je suis plutôt un partisan du travail assidu. Techniquement, j’écris donc assez vite dans le cadre de ce processus continu, mais je peux mûrir des idées pendant longtemps, les rythmes et formes tournant souvent dans ma tête de façon obsédante. J’écris toujours « à l’ancienne », sur des cahiers. Une fois que c’est composé et/ou orchestré je n’y reviens que très peu, mais la phase de mise en forme de scores et de belles partitions informatisées prend beaucoup de temps.