Scènes

(((echo))) La mécanique du piston - Peter Evans quintet


Pour cette nouvelle édition du temps fort (((echo))), La mécanique du piston, consacré à la trompette, donc, le Pannonica accueille quelques-uns des trompettistes les plus passionnants du moment. Avant Jean-Luc Cappozzo et Christian Pruvost dans quelques semaines, la soirée d’ouverture s’organisait autour de deux générations de trompettistes : Rhys Chatham tout d’abord, en duo avec le batteur Will Guthrie, puis Peter Evans et son quintet.

Le New-Yorkais Rhys Chatham a commencé comme guitariste avec la scène noise rock de la Grosse Pomme, où il a notamment dirigé des orchestres de guitares. Au milieu des années 80, il a ajouté la trompette à son arsenal. C’est avec ces deux instruments qu’il se présente sur scène, accompagné pour l’occasion par le batteur - un Australien installé à Nantes – Will Guthrie. Après avoir serré la main des spectateurs des premiers rangs, puis cherché partout sa trompette – jusque dans les loges où il pensait l’avoir laissée – pour finalement la retrouver dans son sac sur scène, l’Américain nous convie dans son monde.

Un monde bâti tantôt à la trompette, tantôt à la guitare, et formé de multiples couches ; Chatham ne cesse de sampler de courtes phrases, de petits riffs qu’il lance ensuite en boucle, multipliant ainsi les épaisseurs avec un sens aigu de l’agencement, chacune venant se glisser avec bonheur au milieu des précédentes. L’auditeur est rapidement emporté par ces vagues sonores, l’oreille cherchant à distinguer chaque nouvelle apparition. Au milieu de cette avalanche, Will Guthrie construit, appose ses rythmes, faisant preuve d’une inventivité sans faille pendant près d’une heure, car l’architecture sonore de Chatham ne lui offre que peu de prise. L’association réussie de ces deux musiciens complémentaires est naturelle, complexe et riche. Un beau premier set qui se vit autant qu’il s’écoute. Avant de quitter la scène, Rhys Chatham nous parle de Peter Evans, le musicien qui va prendre la suite sur scène : « La première fois que je l’ai vu, on aurait dit Clark Kent. Mais dès qu’il joue de la trompette, il devient Superman !! »

Apparu il y a quelques années, notamment au sein du Mostly Other People Do The Killing du contrebassiste Moppa Elliot, Peter Evans a marqué l’année 2011, notamment avec la sortie du premier disque de son quintet, Ghosts (sur son propre label More Is More) au sein duquel l’électronique live de Sam Pluta s’ajoute à un quartet classique trompette, piano, contrebasse, batterie. Mais là où l’album était construit autour de morceaux de facture relativement classique, où l’électronique venait presque en support des instruments, le concert nantais est beaucoup plus complexe, que ce soit dans le matériau de base ou dans le traitement proposé. On sent que le groupe a accumulé un vécu commun et gagné en maturité, ce qui a permis à Evans d’aller plus loin dans sa réflexion. Dès les premières minutes, le cadre du concert est planté : technique époustouflante du trompettiste, construction rythmique stupéfiante - les musiciens semblent très concentrés et prêts à suivre les indications d’Evans ou de Carlos Homs.

Il faut dire que le trompettiste sait s’entourer : Jim Black, que l’on ne présente plus, à la batterie, Tom Blancarte, partenaire régulier d’Evans à la contrebasse, le très inspiré Homs au piano et, donc, Pluta à l’électronique : un équipage digne du monde musical imaginé par le leader. On sent également que l’électronique a pris une part prépondérante : Pluta s’intègre parfaitement au groupe ; sa relation avec Evans s’est enrichie et sa participation est devenue un instrument à part entière. Il retravaille en direct les lignes jouées par les quatre autres et ajoute un certain nombre d’effets qui enrichissent l’ensemble. Résultat : une œuvre qui offre peu de moments de répit, une musique très dense, toujours en tension, entre lignes mélodiques éclatées et travail rythmique poussé. Pour les deux rappels Peter Evans est passé à la piccolo, instrument rare dans le jazz et particulièrement difficile. La tension se relâche un peu, on se rapproche de l’esprit du disque, pour un atterrissage en douceur.

Cette soirée autour de la trompette présentait donc deux univers différents, mais finalement pas si éloignés - deux visions de l’instrument qui, ancrées dans la modernité, signalent une de ses évolutions possibles.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 16 avril 2012
P.-S. :

Rhys Chatham : trompette, guitare
Will Guthrie : batterie

Peter Evans : trompette
Carlos Homs : piano
Tom Blancarte : contrebasse
Jim Black : batterie
Sam Pluta : électronique, ordinateur