Chronique

Archimusic

Terres Arc-en-Ciel

Jean-Rémy Guedon (s, fl, comp, dir), N. Genest (tp, flh, fl, comp), V. Granier (basson), E. Brunat (bcl), J.-P. Arnaud (oboe, fh, bombarde), H. Lenoble (oboe, fh, bombarde), N. Fargeix (cl), Y. Rousseau (b), G. Séguron (b), D. Pouradier-Duteil (dms), A. Banville (dms), invités divers

Label / Distribution : Le Triton

« Les uns avec les autres se changent en s’échangeant ». Cette phrase d’Edouard Glissant [1] pourrait résumer Terres Arc-En-Ciel en ce qu’elle témoigne de la même volonté de conquérir l’altérité. Glissant définit la créolisation du monde comme « la rencontre, le choc, l’harmonie de tous les différents qui s’attirent et se repoussent ». La formule pourrait figurer au fronton de l’édifice qu’érige depuis 1993 le saxophoniste/flûtiste Jean-Rémy Guédon avec Archimusic : il mêle les influences dans le creuset de ses huit musiciens de base, quatre pupitres jazz plus quatre instruments plus courants en musique classique et/ou contemporaine. Huit musiciens toujours à l’affût des conjonctions entre toutes les expressions et tous les arts vivants.

Depuis 2007, Archimusic part en Afrique à la recherche de l’échange, de la rencontre avec des musiciens, des danseurs, des slammeurs ou des conteurs afin de créer les conditions nécessaires à l’émergence d’un langage hybride, sans posture en surplomb ni assimilation « world ». Les prémices ont éclos en dehors de tous les circuits institutionnels de la Coopération, ce qui a permis au groupe une plus grande liberté. Du Bénin, où démarra l’aventure, au Ghana, où Archimusic se trouvait au mois d’octobre 2009 ainsi qu’en ce mois d’octobre 2010, en passant par l’Europe des festivals, l’ensemble et ses invités montent au feu. Pas celui de la guerre, mais celui qui ravive les curiosités mutuelles, que Guédon désigne d’un joli jeu de mot-valise (de celles qui ne se posent jamais) : « Co-errance », ou la mondialisation sans l’affadissement, une mondialisation qui retrouverait soudain ses vertus cosmopolites.

La musique de Guédon et Nicolas Genest mêle les percussionnistes antillais (Philippe Gouyer-Montout et Frantz Féréol) à la finesse des cuivres et des vents d’Archimusic (« Tchebele »). Sur le lancinant « Maseli », pivot de l’album, la basse de Guillaume Séguron permet un grand raffinement dans l’écriture des parties du quatuor - qui a bâti l’univers unique d’Archimusic -, tout en laissant les percussions créer une atmosphère très en avant de l’écriture. Ces suites sont le symbole d’une musique qui sait d’où elle vient, se donne le temps de trouver où elle va, et prolonge avec une remarquable fidélité le travail de J.-R. Guédon, notamment autour de son cousin, le percussionniste Henri Guédon.

Les vidéos de ces rencontres (un reportage au Cameroun sur Arte Live Web, des concerts dans des lieux dédiés [2] ou déterritorialisés), montrent de ces abrasions culturelles dont naissent les flammes. Ici, une danseuse camerounaise crée un mouvement sur le basson de Valérie Granier ; là, Genest pose sa trompette sur la patine d’un balafon…

C’est toute cette aventure qui est consignée dans cet album/carnet de route enthousiaste et amoureux. Les onze plages de Terres Arc-en-Ciel sentent l’ocre rouge des pistes sans verser dans la cosmétique du baroudeur. On y trouve plutôt un documentaire mis en scène par les musiciens et leurs invités eux-mêmes pour raconter la créolité de leur musique, avec son montage en équilibre entre les cinq pièces principales et les quatre « balafons voyageurs », bribes d’ambiances qui respirent la scène. On peut d’ailleurs regretter qu’un DVD ne soit pas joint à l’album. On pourra aussi déplorer le peu de place dévolu aux textes de Germaine Ololo alors que, de Jean Arp [3] au Marquis de Sade [4], Archimusic a toujours placé le verbe au centre de la musique. Mais ces doléances sont bien minces à l’écoute d’un disque aussi jubilatoire.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 octobre 2010

[1Cet écrivain et philosophe français né en Martinique est à l’origine du concept de « créolité ».

[2« Jazz sous les pommiers », Coutances, 2010.

[3Cf 13 arpents de malheur.

[4Cf Sade Songs.