Chronique

Screw And Straw

A Screw in a Straw’s Clothing

Christoph Erb (ts, ss), Fred Lonberg Holm (cello, elec)

Label / Distribution : Veto Records

On avait Tintin et Milou. On avait Pif et Hercule et même plus proches de nous Beavis et Butthead, voire Itchy et Scratchy. Voilà Screw and Straw, duo remuant entre Chicago et Lucerne, villes jumelles. On connaît déjà ce duo composé de Christoph Erb et Fred Lonberg-Holm, on les a rencontrés il y a quelques années au sein de la collection Exchange. Les deux improvisateurs avaient en commun des filiations musicales semblables et une absence totale de retenue lorsqu’il s’agit de se projeter tête la première dans la plus vierge des forêts de sons. « Straw and Water », courte étape de ce second périple, le montre : on peine à distinguer l’archet du violoncelle des sifflements d’anches du ténor. Il faut attendre une sorte de clairière, plus lumineuse et moins hostile, pour distinguer la parole de chacun qui se recouvre très vite, gagnée par les épines de l’électronique du violoncelliste dont le jeu tortueux et inexorable vaut toutes les jungles.

Pourtant, très vite, chacun est dans son rôle et trouve sa propre direction, fût-elle chaotique. Dans « The Screw and Straw Bit », Erb se fait insistant, plus fiévreux que jamais. Son jeu est ample et abandonne toute forme de nervosité ; ce n’est pas le propos, il ne s’agit pas de sauter à la gorge de son camarade mais au contraire de chercher l’unisson, de resserrer les liens, de les rendre même suffisamment denses pour qu’on peine de nouveau à identifier les sons, à attribuer la direction prise à un soliste. Il faudra attendre « Who Are You Calling a Straw ? » pour retrouver une dichotomie et un véritable face-à-face plutôt qu’un enchevêtrement. Et même là, les cercles concentriques de Lonberg-Holm illustrent la parade d’un serpent étrangleur qui laisserait cependant, de loin en loin, le saxophoniste reprendre son souffle.

S’il s’agissait de chercher à tout prix un meneur dans cette aventure qui commence à ressembler à du long cours, peut être que Fred Lonberg-Holm aurait une légère avance. Il ne décide pas des mouvements, il n’est même pas la boussole, mais son archet est le garant de la permanence, a fortiori lorsque son utilisation parcimonieuse de l’électronique suppure des cordes et apporte encore davantage d’étrangeté (« What’s New Screw ? »). Le violoncelle est omniprésent, il s’attache aux éclats du saxophone comme un objet à mémoire de forme et permet à A Screw in Straw’s Clothing d’atteindre une forme de symbiose où les épines hérissées de la première rencontre sont franchement rétractées. Paru dans la collection Exchange de Veto Records, ce disque enregistré à Chicago célèbre l’arrivée de la collection sur BandCamp avec une porte d’entrée radicale et sans filet. A l’image du duo.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 octobre 2020
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