Tribune

Billie Holiday : une affaire d’Etat... mais pas une affaire de jazz

« The United States vs. Billie Holiday », le biopic sur Billie Holiday, un fruit fade.


Après le remarquable documentaire consacré à Lady Day à l’automne dernier (« Billie », de l’Anglais James Erskine), dont la diffusion a été limitée par le confinement automnal, ce film allait-il relever le défi ? L’actrice principale, Andra Day a reçu un Golden Globe pour sa performance dans le rôle de la chanteuse mythique.

Le choix du réalisateur, Lee Daniels (auteur notamment du Majordome), était alléchant : comme c’est le cas de plus en plus souvent dans le genre biopic, il se concentre sur une période de la vie de son héroïne. Ici, peu ou prou, les douze dernières années de sa vie, durant lesquelles Billie se retrouva aux prises avec le FBI, officiellement pour son usage des narcotiques, officieusement pour son obstination à chanter l’hymne anti-lynchage « Strange Fruit ». Un film qui entrerait donc en résonance avec le mouvement Black Lives Matter. Avec bien sûr du jazz d’excellence.

The United States vs Billie Holiday. Photo : Takashi Seida/Paramount Pictures

Et pourtant. On se dit de prime abord que la voix d’Andra Day a les accents canailles de la Fagan (le nom de Lady Day à l’état-civil - jamais énoncé dans le film, d’ailleurs, même lorsqu’il s’agit de décliner son identité face aux flics). Mais dans la réalité, la voix de Billie s’est éraillée au fil du temps. Ici, elle reste constante, empruntant aux intonations d’une Amy Winehouse, ce qui, concédons-le, n’est déjà pas si mal (hors écran, Andra Day est aussi chanteuse de soul). L’amour platonique avec Lester Young est à peine effleuré, alors qu’il a produit des sommets inégalés d’émotion musicale au début de cette période. Après avoir aperçu la silhouette au pork-pie hat à contre-jour au début du film, on espère de grandes reconstitutions de swing... et on a la sensation de s’être fait avoir. Bien sûr, il y a des scènes live et en studio mais même la version d’ « All of Me » est loin d’atteindre l’intensité de celle(s) qu’avait livré le duo. Ce bon vieux saucisson finit par irriguer le film jusqu’à une version paraphrasée en générique de fin. Jusqu’à éclipser « Strange Fruit », censé être le fil directeur d’un synopsis qui, finalement, s’étiole. Certaines séquences en concert swinguent méchamment certes, comme ce « Them There Eyes » chanté dans un club de New-York alors que Lady Day s’est fait supprimer sa carte de cabaret (Louis Hayes, son ignoble mari et manager, arrosait soigneusement la police en même temps qu’il n’hésitait pas à la balancer).

Mais que vient faire cet orchestre composé pour moitié de musiciens blancs ? Une mixité raciale inversée pour complaire à l’Amérique blanche ? Certes, la chanteuse a souvent joué avec des blancs (elle a commencé sa carrière discographique dans l’orchestre de Benny Goodman) mais nulle trace de quelque contrebassiste whitey dans la liste de ceux qui l’accompagnèrent à cette époque. Pis encore, Kris Bower, que l’on a connu plus en forme (Green Book notamment), a composé une bande-son originale qui lorgne vers l’infect. Pour preuve, une sorte de pseudo-blues pendant une scène de lynchage à laquelle assiste Billie : non seulement il n’y a pas de preuve historique que la chanteuse ait réellement assisté à un tel évènement, mais en plus le thème s’étire pendant trois minutes d’un voyeurisme ignoble. Peut-être le réalisateur voulait-il faire œuvre originale de fiction (on passera sur la lourdeur du montage), mais fallait-il à ce point mépriser le jazz ? Et même mépriser « Strange Fruit », dont il n’est jamais dit que, justement, ce n’est pas du jazz et n’a jamais été composé comme tel.

« No Justice No Peace », scandent les manifestants antiracistes aux États-Unis. En ne rendant pas justice au jazz, « The United States vs. Billie Holiday » (titre original) n’apporterait même pas une once de paix à la belle âme tourmentée de la chanteuse.