Chronique

Michel Petrucciani

Michel Petrucciani (p), Gary Peacock (b), Roy Haynes (dm)

Label / Distribution : Jazzhaus Records / Disques Dom

Michel… tu permets que je t’appelle Michel ? Ereinté par ta forme aggravée de la maladie des os de verre, tu livres ici le meilleur de toi-même, avec tes potes Gary Peacock (85 ans à cette heure) et Roy Haynes (on me dit qu’il va sur ses 95 ans, ce vieux pimp de la batterie). Tu étais alors installé à New-York, encensé par la jazzosphère mondiale. Avec cette rythmique-là, tu avais déjà enregistré « Michel plays Petrucciani ». Tu avais toujours joué comme si ta vie en dépendait. Dans cette captation live enregistrée en Allemagne le 7 juillet 1988 (il s’agit là d’une réédition), tu nous embarques dans un maelström de sensations. Sans prétention pianistique, tu mets toute l’étendue de ton talent mélodique et rythmique au service de l’émotion la plus épurée. On te sent à fleur de peau.

Et tes collègues (au sens marseillais -après tout, Montélimar, ta ville d’origine c’est, encore ou déjà, la Provence : de vrais bons copains, pas uniquement des compagnons de travail)… entre l’intense sensibilité de Mr Peacock à la contrebasse et la joie quasiment enfantine de Mr Haynes à la batterie, ils te sont plus que précieux. Ce déchaînement émotionnel aurait-il été envisageable sans eux ? Tu as la pudeur de ne pas jouer tes incunables comme « Looking Up » et « Brazilian Like », préférant par exemple te donner à fond sur « KJ », ce méchant boogie en hommage à ton ami Keith Jarret que ton bassiste se plaît à détricoter pour vous pousser, toi et ton batteur, à mieux le reconstruire, si tant est que cela soit possible. Tu étais doté d’un intense sens de l’amour : « In a Sentimental Room » est d’une délicatesse infinie ici. Et tu avais aussi de l’humour à revendre.

On te sent te marrer intérieurement sur « She Did it Again » : combien d’entre nous savent que cette composition si sensuelle tire son titre des flatulences de la chienne de Charles Lloyd, qui te trimballait dans sa bagnole entre deux gigs ?! Et tu joues le « Giant Steps » de Coltrane comme un pied-de-nez à cette chienne de vie qui ne t’a pas autorisé à dépasser le mètre. Entremêlant amour et humour, toi et tes potes terminâtes ce concert sur un « My Funny Valentine » enrichi d’une coda sur « My Little Suede Shoes ». Car, oui, on t’écoutera toujours, Mr Petru (tu permets que je t’appelle ainsi, Michel ?). Jusqu’au bout.