Chronique

Philippe Broussard

Vivre cent jours en un

Ce n’est pas sans crainte qu’on s’engage dans la lecture d’un livre de plus sur et autour de Billie Holiday. En même temps, et même si l’on tient compte de l’autobiographie de la chanteuse, rien n’a été écrit sur elle qui permette de refermer le dossier, pas de biographie définitive en français, pas d’étude qui fasse totalement autorité. Eleanora Fagan glisse encore entre nos rêves et sa réalité, insaisissable, entre gouaille et sophistication, perversité jouée et malheur subi. Ce qui autorise l’écrivain, le critique, le rêveur, à tenter d’y ajouter son brin de mil.

Philippe Broussard est reporter, rédacteur en chef du service « Enquêtes » de l’Express, prix Albert Londres en 1993. Voilà qui le qualifie au moins pour enquêter, profiter de ses voyages pour interroger les uns et les autres sur cette période courte de la vie de Billie Holiday, les trente jours de novembre 1958 pendant lesquels elle séjourne en Europe, chante à Milan puis à Paris. Trente jours qui précèdent un retour aux USA et la fin qu’on connaît, le 17 juillet 1959. Le côté « romancé » de l’histoire n’est pas ici prégnant (même s’il est présent dans quelques occurrences de style), et on s’en félicite. [1] Car l’auteur cerne son sujet, sa période, les lieux où la chanteuse séjourne, se produit, est logée, les clubs où elle se rend, les amis qu’elle rencontre.

Au fil de la lecture, on se prend à s’intéresser à ces clubs milanais ou parisiens qui ont disparu, ces hôtels effacés par le temps, toutes ces traces si difficiles à retrouver, ces innombrables détails qui auront fait sa vie, son existence durant ces quelques jours, et aux amis musiciens qu’elle croise, et que Broussard est allé interroger jusqu’aux USA ; je pense à Art Simmons par exemple, encore parmi nous, modeste mais tellement essentiel quand il s’agit de la vie du jazz à Paris dans les années 50/60. Une astucieuse postface fait d’ailleurs le point sur ces personnes et leurs « dernières nouvelles ».

Quand l’écriture se fait dense, quand elle refuse les clichés, on adhère totalement au projet de l’écrivain et on se laisse toucher par la reconstitution imaginaire qu’elle finit par opérer. Par exemple, autour des pages 160/161. En résumé, un livre fort agréable à lire, qui apporte des éléments d’une notable fraîcheur, à l’image de Lady Day.

par Philippe Méziat // Publié le 13 avril 2015
P.-S. :

Stock, 19€

[1Il faudra un jour dire le mal qu’on aura eu à sortir de cette représentation médiatique du jazz « comme un roman »… Mais c’est une autre histoire.