Chronique

Burton Greene - Guillaume Gargaud

Magic Intensity

Burton Greene (p), Guillaume Gargaud (g), Tilo Baumheier (fl)

Label / Distribution : Chant Records

Cet album est une suite de dialogues serrés entre un vétéran du free et un talent émergent.

Il faut saluer l’ouverture du premier et le cran du second. Ce dernier était d’ailleurs aussi l’invité d’un album en duo avec Marc Edwards. Peut-être est-ce là une sorte de défi, accepter le challenge d’une rencontre à jeu égal avec une figure de la création, confirmée de longue date.

Certaines phrases commencent sur un instrument et se poursuivent sur l’autre. Un jeu permanent entre mimétisme et anticipation-continuation des discours. Cela saute aux oreilles dès la première pièce, « Space Dialogue », que l’initiative vienne de l’un ou de l’autre. Un bout de comptine à la guitare donne lieu à des développements dans d’autres registres esthétiques au piano. Des quasi-percussions sur les notes aiguës du clavier trouvent leur écho sur les cordes pincées.

Cet entrelacs très dense concerne aussi les matières sonores, les couleurs, les rythmes comme sur le bien nommé « Space Rhythms ». L’incroyable inventivité de Burton Greene trouve le répondant idéal auprès de son jeune compagnon. D’une certaine manière, le pianiste semble se libérer de toute contrainte, avec la certitude que Guillaume Gargaud saura trouver la réponse, voire le nouveau jeu, ce qui ne manque pas de se produire. Car manifestement, ils s’amusent beaucoup. Un semblant de « A Love Supreme » ou de « Take Five » au piano (oui, Burton Greene se permet ce qu’il veut) est transfiguré sur les cordes. Une mécanique insistante de l’un ouvre des espaces vertigineux chez l’autre, sans élève ni maître. Parfois, la guitare devient résonance et prolongement de la main droite du piano. Si ce dernier développe des percussions éparses, suraiguës ou graves, la guitare en épouse la scansion pour aller visiter d’autres rivages.

C’est ainsi que débute le curieux « Climb Up and Float » et qui finit de même, les notes et accords épars trouvant écho dans des crépitements sonores brefs… qui inspirent en retour le piano.
Ce tissage permanent des discours atteint une sorte de climax sur « Apart Together ». Lorsque Guillaume Gargaud développe un chant fait de crépitements, il ne peut qu’inspirer les suraigus du piano.
Les trois dernières pièces accueillent un flûtiste, Tilo Baumheier. Les jeux de complémentarité se complexifient alors, ce dernier apportant des souffles, des murmures parfois crépitants, des traces fugitives de voix, des cris, des chants qui dérapent (« Primal Landscape »). Dans la dernière pièce, les citations faites par Burton Greene ( « Frère Jacques » et autres comptines) sont l’occasion de jeux mélodiques ou rythmiques en écho de la flûte et même parfois de la guitare, « Capricious Voyage to Serenity ». Certains accords de guitare rencontrent des timbres saisissants de proximité au piano. Les trois se retrouvent même, par instants, pour des percussions. Puis la sérénité annoncée arrive.

Cet album se présente donc comme la juxtaposition de deux atmosphères, certes voisines par les interactions serrées, mais distinctes par leurs couleurs et, évidemment, par les équilibres entre instruments et la densité de l’intrication des discours.
L’inventivité et l’humour de Burton Greene affleurent tout l’album durant. Il a trouvé en Guillaume Gargaud un compagnon de jeu qui lui en remontre, un « frère en crimes » capable de tirer parti de toutes bribes de propositions. Ils forment un couple étourdissant, volubile, subtil, créatif. Tilo Baumheier a réussi à s’y insérer sans distendre l’intrication des jeux. Ils sont en très grande forme.

par Guy Sitruk // Publié le 24 mai 2020
P.-S. :

Guillaume Gargaud a enregistré récemment avec Marc Edwards Black Hole Universe
Plusieurs extraits de l’album sont disponibles sur YouTube, dont « Space Rythms » dont je ne voudrais pas vous priver

A noter : l’album est en libre écoute sur Soundcloud et disponible sur Bandcamp. Aucune raison de laisser passer une telle musique.