Scènes

Les Quatre Vents à l’Ermitage

Chronique de concert radiodiffusé depuis le Studio de l’Ermitage


L’un des intérêts des « petits » festivals dans des endroits reculés, est de nous réserver parfois de belles surprises, de nous faire écouter des talents qui viennent illuminer ces lieux hors des autoroutes musicales. C’était le cas pour Perrine Mansuy (p) et Christophe Leloil (tp, bugle), entendus séparément au cœur du Massif Central. Citizen Jazz leur a d’ailleurs consacré plusieurs articles.
Au Studio de l’Ermitage le 25 septembre dernier, un concert réunissait, outre les deux artistes déjà cités, Pierre Fenichel (b) et Fred Pasqua (dm), à l’occasion de la sortie de leur dernier album, « Les Quatre Vents ».

Perrine Mansuy

Il s’agit de musiciens déjà reconnus au plan international (ils ont joué au Small à New York, par exemple), mais ils sont assez peu programmés dans notre capitale.
Mais comment rendre compte d’un concert auquel on n’a pas pu assister ?
Il faut alors compter sur la prescience d’Alex Dutilh. Il avait en effet organisé dans son émission « Open Jazz », trois soirées spéciales consacrées au label Laborie Jazz, dont celle de notre quartette, qui furent diffusées en direct et qui sont disponibles en podcast. Et comme le son est très bon...

Quatre musiciens, mais seulement trois compositeurs. Fred Pasqua, satisfait du travail de ses collègues, a préféré poser sa plume. On aurait pu s’attendre à des compositions des deux seuls leaders, mais c’est à Pierre Fenichel qu’on en doit le plus grand nombre.
Comme cette suite de deux pièces, « Kin Hin » et « Prima Luce » tout en demi-teintes, puis « Libeccio », un vent corse puissant comme nous l’apprend Christophe Leloil. Ici, Perrine Mansuy plaque des accords mélancoliques, un peu sombres. Puis Christophe Leloil nous gratifie d’un infra discours fait de chuchotements vifs et d’éclats brefs, séquence inhabituelle chez lui mais particulièrement expressive, avant de poursuivre avec une sonorité mi solaire, mi intimiste. De belles ponctuations à la batterie, économes et efficaces, puis reprise d’un son de bugle, mais exécuté à la trompette. Perrine Mansuy vient poser ses couleurs, ses mélodies perlées, douces et poétiques. Brève salve virevoltante puis reprise du thème à la trompette. S’ensuit un dialogue tout de sensibilité, de souffles en rafales étouffées aussi. Une réussite.

Dans la seconde partie de « The Bright Suite » de Christophe Leloil, Perrine Mansuy prend l’initiative avec des ruissellements impressionnistes, secondée d’une basse très présente, et de distillations de cymbales, puis quelques martèlements sombres au piano en forme de tremplin pour la trompette. Cette dernière nous livre alors un discours volubile, mixant danses et envolées lyriques, au timbre mi enroué, mi éclatant. Le quartette trouve là l’occasion d’une convergence intense, fruit de leur proximité tant musicale que géographique.

Perrine Mansuy nous parle d’un voyage au Canada, d’un jour qui pointe à peine sur un lac aux hérons immobiles, « First Light on Muskoka ». Une trompette solo en douce émergence rejointe par quelques touches au piano, pour accompagner ce jour nouveau, encore fragile. Quand la trompette s’efface, c’est un entrelacement piano-basse, avec quelques caresses aux cymbales. On y retrouve cette sensibilité très particulière de la pianiste, une ligne de basse mélodique, des frottements de la batterie avant le retour feutré du cuivre. Une musique poétique, au lyrisme tout de retenue.
Le concert se déroule dans la succession des thèmes de l’album. On trouvera plus bas une chronologie pour ceux qui veulent retourner au début d’une pièce ou écouter les échanges entre les animateurs et les musiciens.
On notera que les titres des compositions de Perrine Mansuy sont des pico-poèmes. De même on appréciera l’humour toujours à fleur de mots de Christophe Leloil, qui évoque en particulier un train aux couleurs de liquide de toilettes, ainsi que la nouvelle embouchure de son instrument qui lui permet d’être « monogame » et de ne transporter qu’une trompette, laissant son bugle bien au chaud chez lui.
Une soirée à la sensibilité aiguisée, tangible, en une sorte de cinéma pour les oreilles. On en sort réconcilié avec le monde malgré ses tourments.

par Guy Sitruk // Publié le 27 octobre 2019
P.-S. :


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Chronologie
Time Eats Us Alive ->11.20 (Perrine Mansuy)
Kin Hin ... Prima Luce ->23.45 (Pierre Fenichel)
Libeccio ->34.25 (Pierre Fenichel).
The Bright Suite ->42.34 (Christophe Leloil)
First Light on Muskoka ->49.42 (Perrine Mansuy)
Blake puis Deval in Time ->1.10.25 (Pierre Fenichel puis Perrine Mansuy)
West of the Moon ->1.18.45 (Perrine Mansuy)