Chronique

Open Field + Burton Greene

Flower Stalk

José Miguel Pereira (b), João Camões (viola, mey, perc), Burton Greene (p, p préparé, perc), Marcelo dos Reis (g, g préparée, voc)

Label / Distribution : Cipsela

L’openfield en géographie désigne un paysage agraire de champs ouverts, sans haies ni clôtures. Un horizon infini, interrompu seulement par une éolienne, un arbre ou le clocher d’un village. Cette définition sied à merveille à ce Flower Stalk fomenté par le trio à cordes portugais Open Field et le free pianiste vétéran Burton Greene. Leur musique n’a ni limite, ni frontière. Elle se situe aux marges de la musique expérimentale, du free jazz et de la musique répétitive. Emmené par le guitariste Marcelo dos Reis, le groupe fait parfois penser à un quatuor à cordes, Burton Greene n’hésitant pas à jouer de toutes les mécaniques de son instrument, lui soutirant des sons étranges et disloqués et des harmonies énigmatiques, rappelant ainsi que le piano est un instrument à cordes à part entière.

Ses trois compères ne sont pas en reste et utilisent toutes les possibilités de leurs instruments. Les cordes sont frappées, frottées, caressées, griffées, effleurées ou pincées avec rage, tendresse ou volupté. Les morceaux, totalement improvisés, fonctionnent autour du couple proposition/réaction. Ils s’étirent dans la durée, installent des ambiances et révèlent l’interactivité, l’intense écoute, voire la quasi télépathie entre les musiciens. Sur « Rising Intensity », long crescendo à l’atmosphère crépusculaire et électrique, le quatuor rend hommage au contrebassiste Alan Silva, compagnon d’aventures de Burton Greene dans les années soixante, notamment au sein du groupe The Free Form Improvisation Ensemble, « peut-être le premier groupe à jouer de la musique totalement improvisée à partir [d’]intuitions et non pas de formes préétablies », comme le souligne le pianiste dans les notes de pochette.

« Angels On The Roof » emprunte son titre à un recueil de nouvelles de l’écrivain américain Russel Banks. Celui-ci y fouille, comme à son habitude et avec une précision diabolique, les profondeurs de l’âme humaine et dénonce les dérives de l’American Way Of Life. Le morceau est une sorte de ballade sous hypnose ; on s’enfonce peu à peu dans les abysses tentant coûte que coûte de maintenir la tête hors de l’eau, comme les personnages de Banks.

Dans « On The Edge », le groupe semble se tenir à l’orée d’un gouffre béant, s’y maintenant par force gesticulations et équilibres, luttant contre la chute. La musique y est âpre, aiguisée, tendue. « Greene Hands » est une pièce en solo de Burton Greene dans laquelle il impose son goût pour les mélodies complexes et les harmonies biscornues. L’album se clôt sur « Ancient Shit », sorte de litanie envoûtante rappelant certaines musiques folkloriques, portée par l’incantation vocale de Marcelo dos Reis, la contrebasse répétitive de José Miguel Pereira et les percussions de João Camões. Avec cet album, Open Field pose les bases d’une esthétique libertaire, ouverte à tous les champs des possibles, dégagée d’un certain conformisme ambiant. On en redemande.