Chronique

Rick Countryman, Sabu Toyozumi, Simon Tan

Turtle Bird

Rick Countryman (as), Sabu Toyozumi (dm), Simon Tan (b)

Label / Distribution : FMR-Records

Il s’agit d’un album issu de la même séance d’enregistrement que Chasing The Sun.
On pourrait suspecter qu’il s’agisse de pièces de moindre intérêt. Il n’en est rien. Les parutions ne sont espacées que de moins de six mois, d’une part, et le contenu de ce second enregistrement réserve des surprises, d’autre part.

Pas pour la première pièce, « No Social Relevance », qui présente le trio canonique. On y retrouve l’hypersensibilité de Rick Countryman, parsemée de quelques esquisses de références au Bird (inévitables avec un tel nom d’album), les frappes millimétrées de Sabu Toyozumi et le contrechant mélodique de la basse de Simon Tan. C’est la seconde publication de ce thème ; la première en version écourtée peut être entendue dans le précédent enregistrement cité plus haut.

Avec « Red Turtle Bird », il y a comme une accentuation des rôles de la basse et la batterie, pour arriver progressivement au seul duo de ces deux derniers dès la cinquième minute. Un festival de combinaisons peaux-cymbales, la pulsation étant reléguée aux oubliettes pour une composition percussive éblouissante. Du très grand Sabu, qui visiblement s’amuse à nous sidérer. Lors du retour du sax et de la basse (9:30), le trio libère une sorte de fête païenne hors cadre, superlative. Un motif tout en vibrations égrenées à la basse signe le retour à une atmosphère plus sereine, davantage en coups de pinceaux sonores au sax et à la batterie. La seconde moitié de cette pièce pourrait s’intituler « Cris et Chuchotements ».

« Lower Dephts » est une vraie surprise. Retour du seul duo basse-batterie toute la pièce durant. La mise en lumière de ce duo donne l’impression de libérer la créativité de Simon Tan. C’est d’ailleurs le bassiste qui ouvre le thème avec un solo de plus de deux minutes. Peut-être est-ce mon imagination qui me fait entendre « A Love Supreme » à plusieurs moments. Ensuite, Sabu vient consteller son chant de quelques cymbales et baguettes sur le métal. Quelques frappes plus insistantes sur les peaux et c’est une vraie danse qui s’amorce entre les deux. Vers la fin, la batterie prend davantage d’espace pour une musique champagne, où Sabu nous laisse pantois devant un tel jaillissement créatif. Ça pétille de partout.

« Blue Turtle Bird » signe le retour du sax, avec une lente envolée aux sonorités travaillées, parsemée d’éclats de batterie. La basse se fait moins présente après les orgies des deux pièces précédentes, rehaussant le lyrisme de Rick. Puis vers la sixième minute, retour du duo basse-batterie, à moyenne voire basse intensité, toujours avec des échos du thème de Coltrane. Et enfin, Sabu tout seul pour près de huit minutes, virevoltant sur ses fûts, ses métaux, se situant sans difficulté aucune au niveau des meilleurs solos de notre histoire. Pourquoi jouer quand un tel fauve est lâché ? Juste s’asseoir et écouter.

Cet album est une sorte de célébration du patriarche, figure emblématique de la batterie. C’est aussi l’occasion de reconnaître l’autorité, le talent de Simon Tan. Et comme pour chaque enregistrement, Rick Countryman nous régale d’un chant particulièrement expressif, abrupt parfois, lyrique souvent, talentueux toujours.
Une occasion de plus de nous régaler de cette fête profane.

Ce saxophoniste voue une affection profonde, quasi filiale, à ce musicien d’exception qu’est Sabu Toyozumi. Lors de leurs derniers concerts en mars, aux Philippines, il accueillait ces rencontres comme une occasion de progresser au contact de son invité, et aussi, disons-le, comme une fête. Plusieurs concerts donc, en quartette avec ce trio plus Yong Yandsen (ts) en invité, et en duo Rick-Sabu. Rassurez-vous, toute cette musique a été enregistrée. J’ai pu écouter et mazette ! On en reparlera.

par Guy Sitruk // Publié le 3 mai 2020
P.-S. :

Cet album peut être acheté sur le site de FMR
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