Chronique

Silke Eberhard & Céline Voccia

Wild Knots

Silke Eberhard (as), Céline Voccia (p)

Label / Distribution : Relative Pitch

C’est la saxophoniste Silke Eberhard qui nous avait pour la première fois parlé de la pianiste française Céline Voccia, depuis longtemps installée à Berlin. On l’a entendue depuis en trio avec Abîme, un disque où elle croisait des musiciens de la galaxie de la saxophoniste ; c’est donc en toute logique que les deux artistes se retrouvent en duo dans un fort réjouissant Wild Knots paru sur le label Relative Pitch. Dès le bien nommé « Exubérance », on comprend aisément quel va être le parti-pris de ce disque : une musique qui célèbre l’urgence, avec une énergie à peine modérée par une immense culture commune puisée dans la musique écrite occidentale. La main droite de Voccia, fureteuse, intenable, va chercher des bribes de mélodies comme autant de vif-argent. Un mouvement perpétuel que la saxophoniste accompagne ou carambole, selon les flux du moment. Ce n’est pas d’une émulation qu’il s’agit ici, mais de flux parallèles qui se rencontrent et s’effleurent, à la manière de danseurs virtuoses.

Plus loin, avec « Gemini », c’est Silke Eberhard qui mène davantage les débats. On reconnaît sa sonorité familière, légèrement voilée et très véloce où les tampons de l’instrument sont autant de rythmiques. Dans ce morceau, tout comme dans le formidable « Paradoxe », le piano ponctue et souligne, ne rechignant pas à aller dans les profondeurs. Céline Voccia est une musicienne très sensible, toujours à l’écoute de ses compagnons ; avec une artiste à l’univers très puissant comme Eberhard, qui aime le jeu plus que tout, la pianiste peut puiser dans toutes sortes de registres, mais c’est dans la fluidité presque concertante que le duo fonctionne le mieux ; une musique sans temps faible qui glisse comme une voile sur la mer.

Habituée aux duos, Silke Eberhard a une approche résolument différente de celle qu’elle eut, par exemple avec Uwe Oberg, dont Céline Voccia est pourtant proche. Ce qui marque ici, c’est d’abord l’absence de standards : si les échos dolphyens peuvent apparaître spontanément, Wild Knots est avant tout un tribut à l’improvisation. Le point commun, c’est la grande intimité qui s’expose ici, et qui s’exprime dans « For Uli », dernier morceau dédié à Ulrich Gumpert qui est central dans la carrière des deux femmes [1]. Les musiciennes parlent un même langage et n’hésitent pas à en user à bâtons rompus ; un langage où le rythme et l’approche très organique des sons ont une place absolument centrale. Wild Knots est le premier volet d’une rencontre au long cours. On s’en réjouit.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 septembre 2023
P.-S. :

[1Voir notre interview de Céline Voccia, NDLR.