Entretien

Christophe Girard, accordéoniste orchestral

L’accordéoniste de Smoking Mouse et de Melusine est en tournée avec Jazz Migration

Christophe Girard © Maarit Kytöharju

Entre Mélusine, Exultet et Smoking Mouse, on croise de plus en plus souvent le nom de l’accordéoniste Christophe Girard. D’autant plus que le quintet qu’il a initié est un des lauréats 2019 de Jazz Migration.

- Vous avez écrit la musique des deux albums de Mélusine et pourtant vous ne semblez pas vous positionner comme leader.
Non, il n’y a pas de leader qui se dégage. Ce n’est pas parce que je l’écris que la musique m’appartient. Nous sommes tous les cinq inscrits dans ce projet et l’écriture en est une partie, ni plus ni moins importante que les autres. Pour que le projet vive, l’écriture ne suffit pas. Chacun de nous contribue à faire exister le groupe d’une manière ou d’une autre. Par exemple, démarcher les programmateurs est également important et sans ce travail, la musique que nous faisons ne pourrait pas vivre. Donc oui j’ai écrit, mais je ne suis pas leader. Alors j’entends qu’on identifie un groupe à un leader mais tant pis, on souhaite avant tout inscrire notre projet dans une démarche collective.

Christophe Girard © Maarit Kytöharju

- Je reviens néanmoins sur l’écriture. Comment procédez-vous ?
J’écris assez rapidement. En revanche, avant de coucher le projet sur le papier, j’ai besoin de faire le vide. J’ai besoin d’être tranquille. Pour Chroniques par exemple, je me suis vidé l’esprit en jardinant. Puis quand je me suis mis à écrire, j’ai tout fait en trois jours. L’acte d’écrire à proprement parler est court mais il y a une mise en condition préalable qui compte tout autant.

à partir de quatre musiciens, on peut passer à une vision orchestrale

- Vous n’écrivez donc pas avec votre instrument ?
Non. Je trouve d’ailleurs que c’est plus compliqué. Car si j’écrivais avec l’accordéon, je pourrais tomber facilement dans des systématismes. Sans l’instrument je me mets plus en danger. Je prends des risques et c’est le moyen pour moi de gagner en liberté. Et puis c’est une habitude que j’ai prise dans la classe d’écriture au CNSM. En fait, je crois profondément qu’il n’y a pas une seule manière de faire. Je crois tout simplement que chacun adopte le mode d’écriture qui lui semble le plus approprié.

- Avec la musique que vous proposez, et je pense encore à Mélusine, se pose la question de vos références musicales.
J’ai une vision orchestrale du quintet. Je tiens ça de Claude Barthélémy avec qui j’ai travaillé après le CNSM. Il me disait qu’à partir de quatre musiciens, on peut passer à une vision orchestrale. Mais j’ai bien sûr d’autres repères. Magnus Lindberg est un compositeur dont j’admire la vision. C’est pour moi un des derniers grands orchestrateurs. J’aime énormément aussi Michael Formanek. J’en suis tout simplement fan. Et dans le registre des références, je dois citer Stravinski.

- Je reviens sur Mélusine. Comment est né ce projet ?
En 2008, j’avais monté le trio Exultet avec Stan Delannoy et William Rollin, avec lequel on a gagné les tremplins de La Défense et de Burghausen. Parallèlement j’ai monté un duo avec Anthony Caillet. Mélusine est en fait la réunion des deux projets qu’on a opérée en 2012. Restait ensuite à trouver un bassiste et le nom de Simon Tailleu s’est imposé naturellement.

Pour profiter de l’album, il faut se mettre dans son canapé

- Et ce un nom de groupe ?
Mélusine, c’est un prénom qu’on peut associer à une fée, à des mythes aussi. Quelque part, chaque région, avec ses histoires, a sa Mélusine. C’est le côté éthéré, magique qu’on a voulu donner au projet, quelque chose qui n’est pas terrien, qui n’est pas palpable, qui fait appel à l’imaginaire. Comme le dit Stan, c’est aussi la part féminine de notre musique, même si nous sommes cinq hommes et qu’aucune femme ne fait partie du groupe.

- Et puis il y a ce format qui n’est pas commun. Un seul morceau qui constitue l’ensemble de l’album.
On voulait échapper, comme beaucoup d’ailleurs, à la formule thème, improvisation, thème. On voulait aussi une narration longue. C’est comme si on avait choisi d’écrire un roman plutôt que des nouvelles. Mais en même temps, je sais que ça pose la question du temps. Et là, on se heurte à une difficulté propre à notre époque. Pour profiter de l’album, il faut se mettre dans son canapé et l’écouter d’un bout à l’autre.

Melusine © Maarit Kytöharju

- Chroniques est une longue pièce écrite et pourtant vous jouez sans partition.
C’est très écrit et effectivement on a choisi de se passer de partition. D’abord ça nous permet de brouiller la différence entre les parties écrites et les parties improvisées. Sans les partitions on a une vision plus globale, on ne focalise pas sur ce qui est écrit. En venant du classique, comme Stan, Anthony, William et moi, c’était plus facile de jouer une longue pièce sans partition car dans le classique il est fréquent de jouer un récital de mémoire. De plus, en jouant sans partition, on accentue la confiance qu’on a les uns envers les autres. On est plus engagé physiquement aussi.

- Vous avez d’abord un parcours dans le classique. Vous êtes allé vers le jazz ensuite. Le passage de l’un à l’autre est compliqué ?
J’ai d’abord commencé avec la variété, pour tout dire. Jusqu’à dix-sept ans, je ne faisais que ça. J’ai découvert le classique après et je me suis alors tout naturellement dirigé vers le CNSM. C’est à la sortie du conservatoire que j’ai découvert le jazz. En rencontrant Claude Barthélemy et Denis Charolles, avec lesquels j’ai joué. Mais aussi avec Vincent Peirani. Après le CNSM, je faisais beaucoup de récitals solo. Lui cherchait un accordéoniste pour des remplacements. En fait j’ai intégré le milieu du jazz par ces deux chemins. Et puis ça correspondait à mon envie d’écrire et de jouer. Le jazz permet ça plus que le classique où il y a d’un côté les compositeurs et de l’autre les interprètes. C’est plus cloisonné et donc moins facile. Le jazz m’a permis de faire les deux.

- Bien sûr se pose la question des projets futurs.
Ça se pose d’autant plus qu’on ne sera plus Jazz Migration l’an prochain et qu’on peut s’attendre à un ralentissement. On va rentrer en résidence et pour le coup l’écriture sera collective. On sait ce qui marche et ce qui ne marche pas ; on a envie d’aller plus loin pour ne pas tomber dans des systématismes. Quant à la résidence, il y a en perspective un nouvel album pour Mélusine.