Chronique

Campagnie des Musiques à Ouïr

Duke & Thelonious

Denis Charolles (dms), Aymeric Avice (tp), Matthieu Metzger (ss, as, bs), Hugues Mayot (ts, cl), Raphaël Quenehen (as, bs), Julien Eil (bcl, fl, bs), Gueorgui Kornazov (tb), Christophe Girard (acc), Thibault Cellier (b)

Label / Distribution : Autoproduction

Tremblement de temps : c’était il y a à peu près sept ans, le batteur Denis Charolles nous présentait, avec une équipe soudée, une grande Campagnie des Musiques à Ouïr très cuivrée, Duke et Thelonious, son nouveau spectacle. Dans le line-up, on retrouvait ce qui était déjà Journal Intime, et deux jeunots rouennais, Thibault Cellier et Raphaël Quenehen qui construisaient déjà Papanosh. Comme trop souvent avec le batteur, le spectacle ne se traduisit pas immédiatement en disque, et il aura fallu autant d’années pour retrouver la lecture foutraque d’un jazz populaire et savant auquel Charolles s’identifie nécessairement : « Le rutilant train B du coin de la rue », qui s’ouvre sur un beau solo de contrebasse en témoigne, surtout lorsque le fidèle Julien Eil vient le soutenir dans les basses ; ce disque, c’est la chronique d’une euphorie, d’une joie de jouer au sens le plus infantile avec un patrimoine qui appartient à tous.
 
Il n’y a qu’à entendre avec quelle joie l’accordéoniste Christophe Girard (Mélusine) s’empare des thèmes pour les rendre tout cabossés et échauffés par le trombone explosif de Gueorgui Kornazov. Quant à Charolles, il jubile. Il frappe tous azimuts mais avec beaucoup de respect pour le rôle de chacun ; il va chercher des sons, fait monter la sauce comme dans le remuant « Little Rootie Tootie » où il maintient une émulsion permanente et laisse le loisir du cri à la clarinette basse ; on est sur le terrain de la Campagnie, où ça chahute toujours avec une certaine poésie. Tout l’album conserve cette couleur, mais le plus intéressant dans cette joute turbulente, ce sont ces suites dans lesquelles l’écriture du batteur s’immisce entre les cimaises d’Ellington et Monk [1] . À ce jeu, « Koko » mute en « Chaos » sous la férule d’Hugues Mayot et « Evidence » où s’illustre Matthieu Metzger s’amuse à devenir « Ce vide né », collage cubiste où la trompette d’Aymeric Avice tranche dans le vif.
 
Denis Charolles peut paraître, au premier abord, plus proche de la folie rugueuse de Monk que de la pondération d’Ellington, mais les deux pianistes sont célébrés avec le même amour. Il suffit d’entendre la liberté prise par la percuterie sur « Créole Rhapsodie », et ce goût affiché pour les détails, les citations volontairement tronquées et la grande sensibilité environnante pour comprendre que le Duke est l’un des grands totems de la Campagnie. Un retour discographique remarqué, et plus que nécessaire.