Chronique

Daniel Humair, Bruno Chevillon, Tony Malaby

Pas de dense

Daniel Humair (dm), Bruno Chevillon (b), Tony Malaby (saxes)

Label / Distribution : Zig-Zag Territoires

Pas de dense est une invitation au voyage, de ces voyages que l’on entreprend davantage pour les rencontres, le temps passé ensemble à se découvrir, se stimuler que pour la destination, qui, finalement importe peu.

Pour ce périple en terre d’improvisation, Daniel Humair, Tony Malaby et Bruno Chevillon ont choisi de prendre la route à trois, à la découverte de ce que chacun peut apporter au trio. Durant ces douze « Sequence HCM » – comme autant de flashes mémoriels qui resteraient de l’aventure – ils approfondissent ce qui était né entre eux lors de précédents concerts et parcourent sans crainte des silences, des tensions, le monde de l’improvisation, tantôt empreinte de délicatesse, tantôt tendant vers la débauche d’énergie paroxystique, mais toujours dans la plus grande cohésion. Il ressort de ces pérégrinations une belle capacité à narrer des histoires de l’instant que notre mémoire transforme en récits inoubliables. Dans une formule comptant parmi les plus utilisées en jazz, Pas de dense est une démonstration des possibles. Tout y est : l’intention ludique, l’inventivité, le renouvellement, l’exploitation à plein du matériau de base, la faculté de se retrouver et d’interagir en temps réel. On vogue sur le travail des masses sonores, l’ouverture du discours - quel que soit l’instrument -, l’abondance des couleurs ou, au contraire, les mélodies épurées, qui semblent surgir par miracle. La dernière « Sequence", HCM 12, résume bien l’ensemble : plus longue que les onze autres, elle traverse les paysages évoqués précédemment comme une ultime remémoration avant la fin du périple, un retour sur ses moments forts.

La réussite de l’aventure tient certainement aux rencontres passées [1] : Humair, Malaby et Chevillon semblent se trouver aisément dans les méandres de la création immédiate et de ce pas de danse à trois. Difficile de distinguer un des trois tant leurs prestations respectives, exceptionnelles, contribuent à part égale à la cohérence de l’ensemble. La contrebasse sait aussi bien se faire ronde, bondissante, lyrique, grinçante, stridente, pantagruélique ou pressée ; elle est la corde tendue de l’improvisation sur laquelle Humair et Malaby prennent appui pour un numéro d’équilibriste, tout là-haut où tout est plus frais, loin des scories d’un monde musical envahi par le formatage, les modes et le confort ronflant loin de toute prise de risque. Humair s’affaire derrière ses fûts et, comme les grands crus, se bonifie avec le temps : il se démultiplie et semble évoluer dans un bain de jouvence, et Malaby élargit encore son registre expressif sans perdre ses qualités d’incomparable mélodiste. Sa sonorité charrie tous les souvenirs du voyage, et dans son lyrisme déchirant alternent
cornes de brume et frôlements de caresses.

Au sein d’HCM, chacun cherche à repousser ses limites tout en restant connecté aux deux autres. Cette vision du trio, qui ne perd pas de vue l’esprit du jeu tout en usant des ruptures pour ménager un passionnant suspens musical, est d’une belle modernité. La science de la composition instantanée, de la maîtrise du récit et du suspense, du respect du rythme narratif au risque des morceaux courts, font la réussite de Pas de dense. Et, malgré la diversité des formes explorées, on y sent une vraie logique qui crée d’ores et déjà une des grandes réussites de l’année.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 17 juillet 2010
P.-S. :


A noter, une nouvelle fois, le travail de Gérard de Haro, ingénieur du son (Studio La Buissonne), quatrième homme du trio qui en magnifie la musique.

[1Daniel Humair et Tony Malaby ont déjà joué plusieurs fois ensemble dans des contextes différents, notamment lors d’un concert mémorable aux côtés de Marc Ducret ou avec Joachim Kühn pour l’album Full Contact, et le trio HCM a donné trois concerts avant l’enregistrement de l’album.