Chronique

Gautier Garrigue

La Traversée

Gautier Garrigue (d, perc, g), Maxime Sanchez (p), Federico Casagrande (g), Florent Nisse (b)

Label / Distribution : PeeWee !

On attendait ce premier disque avec une certaine impatience. Car si les qualités de Gautier Garrigue en tant que batteur sont avérées depuis bon nombre d’années (ce n’est pas Henri Texier qui dira le contraire), il semblait évident que le « leader » et compositeur avait bien des choses à partager. Avec La Traversée, paru sur le label Peewee ! sous la direction artistique de Simon Goubert, c’est chose faite. Mieux encore : en authentique créateur, celui qui est également l’un des membres du groupe Flash Pig sait que la musique est une matière première qu’il ne faut pas hésiter à remodeler, car les variations de ses formes et couleurs sont infinies. On trouvera par conséquent sur ce disque plusieurs compositions déjà dévoilées en d’autres circonstances : « Forest, Forging Them », sur Longing de Yuval Amihai (mais aussi sur Heteroclite Lockdown d’Henri Texier), « Laniaeka » sur Chance du même Texier, ou bien encore « La Traversée » sur Le Plus Longtemps Possible de Flash Pig. Nous ne sommes donc pas en « terra incognita », mais plutôt au cœur de paysages qu’il nous est proposé de parcourir en les considérant d’un œil et d’un regard neufs.

La Traversée est naturellement un disque d’amitiés. Gautier Garrigue n’est pas allé chercher bien loin ses partenaires : Maxime Sanchez (piano) et Florent Nisse (contrebasse) sont ses complices de Flash Pig. Il fait aussi appel à quelques invités qu’il côtoie régulièrement : Henri Texier au premier chef, ainsi que Vincent Lê Quang et Émile Parisien. Et puisque le chant de la guitare est au cœur de son processus de composition, la présence très atmosphérique de Federico Casagrande semblait s’imposer presque comme une évidence tant la sonorité et le jeu de l’Italien réalisent une sorte d’accord parfait avec la frappe suggestive du batteur.

Pour autant, La Traversée n’est pas un disque de batteur et encore moins une démonstration technique : à peine Gautier Garrigue s’autorise-t-il une échappée solitaire, le temps d’un bref « Interlude » ou d’un solo sur « La Plage du Troc ». Parfois même, il peut poser ses baguettes pour être guitariste (« Au passé »). Chez lui, c’est bien le collectif et le soin apporté au détail - cet art de la suggestion si cher à Paul Motian - qui prévalent, portés par des compositions aux climats volontiers nocturnes et des mélodies très aériennes, comme en suspension. Il y a de la majesté dans la manière dont le groupe s’empare des différents thèmes, dans une forme de recueillement amoureux et contemplatif (« Laniakea ») invitant au chant. Et une joie indicible, aussi, qui traverse un hommage à Kenny Wheeler, ou lorsque surgit le thème très colemanien (tendance Ornette) d’une « Plage du Troc » dont les rebondissements seront multiples (jusque dans les recoins les plus cachés du disque).

Gautier Garrigue n’a pas manqué son rendez-vous. On savait le musicien généreux, le voici qui s’impose avec La Traversée comme le réalisateur d’un film musical d’une grande délicatesse, au scénario passionnant de bout en bout.