Chronique

Henri Texier

Sand Woman

Henri Texier (b, comp), Sébastien Texier (as, cl), Vincent Lê Quang (ts, ss), Manu Codjia (g), Gautier Garrigue (dms).

Label / Distribution : Label Bleu

Henri Texier serait-il un disciple du poète Nicolas Boileau ? « Hâtez-vous lentement et sans perdre courage / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage / Polissez-le sans cesse et le repolissez / Ajoutez quelquefois et souvent effacez ». On pourrait penser en effet à ces vers extraits de L’art poétique à l’écoute de Sand Woman, le nouveau disque du contrebassiste, publié comme tous ses prédécesseurs depuis le milieu des années 80 chez Label Bleu. Car celui qui est devenu au fil des années une sorte de père pour toute une génération de jeunes musiciens a choisi de revenir sur son propre passé afin de mieux le confronter au présent. Histoire de montrer que chez lui, c’est toujours le même chant, toujours la même vibration, seules les couleurs variant au fil des changements de formation. C’est aussi pour lui l’occasion d’administrer une formidable leçon de jazz, en ce qu’il s’applique à en respecter le cadre le plus traditionnel (exposition d’un thème, intervention des solistes, retour au thème), mais sans jamais tomber dans la routine ni le côté parfois laborieux du genre, qu’on pourrait souvent reprocher à bien des praticiens du genre.

Pour parvenir à ce résultat en forme de coup parfait, Henri Texier a puisé par trois fois (« Amir », « Les là-bas » et « Quand tout s’arrête ») dans son répertoire des années 70, celui des albums Amir et Varech publiés en leur temps sur le label JMS [1]. Partant de cette même idée d’un matériau musical jamais fini, il revient aussi sur « Indians » dont l’original figure sur An Indian’s Week (1993), un choix qu’on pourrait aussi comprendre comme un clin d’œil à son précédent disque, Sky Dancers, dédiés aux Indiens d’Amérique. Mais comme la musique est chez Henri Texier un fil tendu entre les époques, il complète ce retour aux sources par deux nouvelles compositions typiques de son idiome. Ce n’est pas lui faire injure que de dire qu’on identifie instantanément la patte du contrebassiste, son blues sous-jacent et ses mélodies un peu nostalgiques. Il n’y a aucune tristesse chez lui, juste le constat d’un monde brutal et injuste. C’est la musique d’Henri Texier telle qu’en elle-même, celle qu’on prend plaisir à reconnaître et redécouvrir en même temps.

Et comme Henri Texier n’aime rien tant que d’essayer le mélange de nouvelles couleurs, le voici qui vient avec une formation inédite, parfois baptisée Twiga Quintet, qu’on connaît maintenant comme Sand Quintet. On y retrouve deux musiciens fidèles : l’incontournable Sébastien Texier (saxophone alto et clarinette) et Manu Codjia (guitare), régulièrement présent depuis l’époque du Strada Sextet, auxquels viennent se greffer deux petits nouveaux : le saxophoniste Vincent Lê Quang, découvert à l’occasion d’une rencontre improvisée à trois avec Aldo Romano [2] et le batteur Gautier Garrigue, musicien en pleine ascension. Et puisqu’il est question de greffe, force est de constater que celle-ci prend parfaitement : c’est un vrai plaisir que de goûter au propos volubile de Vincent Lê Quang (magnifique au saxophone soprano en particulier) et aux couleurs plus étincelantes et atmosphériques que jamais de Manu Codjia. Gautier Garrigue quant à lui trouve instantanément sa place : la fluidité de son jeu, son alliage de souplesse et de force sont les meilleurs partenaires du jeu d’Henri Texier, qui sait constamment se frayer un chemin entre groove et émotion. La prise de parole des uns et des autres n’est jamais un exercice de style, elle forme un assemblage de chants inspirés par la vibration du grand monsieur qui les a réunis.

On pourrait dire de Sand Woman qu’il est un disque classique d’Henri Texier. Certains iront peut-être même jusqu’à le lui reprocher. En cela, ils auraient tort parce qu’ils oublieraient l’essentiel : la vérité et la sincérité d’un musicien qui n’a plus rien à démontrer, maîtrisant parfaitement son art et d’une générosité sans faille. Sa femme de sable est en outre d’une grande élégance.

par Denis Desassis // Publié le 4 février 2018
P.-S. :

[1Le label JMS a réédité depuis sous la forme d’un double CD les trois disques enregistrés alors, pour l’essentiel en solitaire par Henri Texier : Amir (1976), Varech (1977) et À cordes et à cris (1979).

[2Le trio a publié sur le label du Triton un disque intitulé Liberi Sumus ! en 2016.