Chronique

David Enhco

Family Tree

David Enhco (tp), Thomas Enhco (p), Florent Nisse (b), Gautier Garrigue (dms), Quatuor Voce (Cécile Roubin, Guillaume Latour, Guillaume Becker, Lydia Shelley), Caroline Casadesus (voc), Célia Kaméni (voc), Michel Portal (clb).

Label / Distribution : Nome

Il ne faut jamais oublier que derrière tout musicien se cache… un être humain, avec un cœur qui bat fort et des émotions qui affleurent. Cette ouverture en forme de boutade est une façon d’expliquer que David Enhco a choisi de jouer cartes sur table et d’exposer à tous son jeu le plus intime. Le trompettiste sait d’où il vient et sa reconnaissance envers celles et ceux qui lui ont permis d’avancer sur son chemin n’est pas le moindre de ses stimulants. À 35 ans, ce fils de chanteuse lyrique (Caroline Casadesus), petit-fils de chef d’orchestre (Jean-Claude Casadesus), et dont le beau-père n’était autre qu’un certain Didier Lockwood, a voulu enregistrer un disque en forme de merci. Mariant jazz et musique classique, il associe un quartet où l’on retrouve ses plus fidèles compagnons : Thomas Enhco, frère pianiste qui signe la plupart des arrangements, Florent Nisse (contrebasse) et Gautier Garrigue (batterie), à un quatuor à cordes (le Quatuor Voce), auxquels viennent ajouter leurs voix Caroline Casadesus et Célia Kaméni, chanteuse qui côtoie depuis une dizaine d’années The Amazing Keystone Big Band, dont David Enhco est l’une des quatre têtes pensantes. Sans oublier le passage amical d’un grand monsieur, le toujours jeune Michel Portal.

Le menu de Family Tree, au-delà de sa nature généalogique, est assez copieux et témoigne du soin apporté par les frères Enhco à une réalisation sans faute d’un point de vue formel : les compositions personnelles, très mélodiques, viennent trouver place parmi quelques thèmes signés Monteverdi, Poulenc ou John Lewis ; çà et là un poème signé Paul Verlaine ou Heinrich Heine, dit ou chanté par l’une ou l’autre des invitées, s’offre à la façon d’une échappée ; pour exhausser les saveurs de l’ensemble ainsi constitué, des arrangements raffinés, presque soyeux, aux accents nostalgiques. Au bout du compte, une richesse de couleurs exposées durant une heure et dont les nuances illuminent tout particulièrement les interventions fraternelles au piano ou à la trompette. On est parfois à deux doigts de regretter une pointe de folie ou d’inattendu – cette incertitude fébrile si particulière qui fait le jazz – avant de comprendre que tel n’est pas le propos d’un disque dont les ambitions sont tout autres. Ici, il s’agit avant toute chose d’exprimer un profond désir de rassemblement et de manifester une volonté de consensus, sans que celui-ci soit synonyme d’affadissement. Et c’est bien ce qui se trame au fil des thèmes : comme une voie heureuse minutieusement tracée vers un paysage aux reliefs d’une réelle douceur teintée d’un soupçon de mélancolie. Family Tree est tout autant une évocation des jours heureux, voire insouciants, qu’un regard porté en direction des absents. Publié le jour anniversaire de la disparition de Didier Lockwood, ce disque ouvert à bien des émotions se présente comme un cadeau, adressé sans doute au violoniste en premier lieu, mais dont chacun·e d’entre nous pourra découvrir les délicatesses avec plaisir.