
Flagey assure le Brussels Jazz 🇧🇪
L’établissement culturel d’Ixelles se donne les moyens d’un grand festival.
© Olivier Lestoquoit
Le festival Brussels Jazz Flagey fête ses dix ans avec de beaux programmes, de belles collaborations et idées et surtout une volonté affirmée de donner les moyens à la création, à la musique et aux artistes. Cette année, le festival accueille la cérémonie du Toots Thielemans Award décerné à un·e étudiant·e en jazz du conservatoire de Bruxelles. Il s’associe également au collectif londonien Jazz re:freshed pour la programmation. 2025 est l’année qui voit le pianiste Bram de Looze artiste en résidence (chaque année un·e musicien·ne belge néerlandophone et francophone en alternance). Enfin, autre première mondiale, la rencontre du Brussels Philharmonic avec le trio du pianiste américain Craig Taborn.
- Bram de Looze et Doyenon Kim © Olivier Lestoquoit
Et en plus de mettre les moyens dans la création et l’artistique, Flagey ouvre grandes ses portes à la presse internationale qui est invitée à séjourner quelques jours pour rendre compte par écrit ou par l’image.
Grâce à cela, nous avons pu assister aux trois dernière soirées du festival, qui se déroulent selon le même rituel : premier concert dans la petite salle du Studio 1, gros effectif sur la grande scène du studio 4 et fin de soirée debout dans le lobby pour un set plutôt dansant.
Le trio Vice Versa (Bram de Looze au piano, Felix Henkelhausen à la contrebasse et Eric McPherson à la batterie) est une première, créé pour l’occasion. Les trois musiciens venant d’horizons et de cultures différentes musicalement, on sent une absence de lâcher-prise et une musique flottante qui pourrait s’ancrer un peu plus. Néanmoins, c’est dans la lignée de Jarrett et Mehldau et même Emahoy Tsege Mariam Gebru dont l’un des titres est joué. Le concert est enregistré en vue d’un disque, affaire à suivre.
- Craig Taborn 4tet et Brussels Philharmonic © Pieter Fannes
Le concert suivant, très attendu, fait partie de ces paris lancés dont on ne connaît pas vraiment l’issue. Le pianiste américain Craig Taborn a écrit une composition sur commande, en s’inspirant de Duke Ellington pour l’esprit et de Geri Allen pour la lettre. Amateur de claviers divers et de sonorités électroniques, Taborn a écrit en considérant l’orchestre comme un immense clavier électronique, avec des effets et des couleurs programmés. Presque comme un mellotron finalement. Grâce au savoir faire du chef d’orchestre Ilan Volkov qui obtient de l’orchestre des choses aussi rares qu’étonnantes, la partition « Heartspoken Suite For Improvising Quartet And Full Orchestra » devient une œuvre magnifique et l’ensemble obtient un triomphe.
Il n’est pas soliste, il est réalisateur
Son quartet au centre, est bien mis en avant, (Chess Smith y est encore une fois remarquable, il tient tête aux trois percussionnistes de l’orchestre avec fougue) et le pianiste enchaîne les tableaux et les ambiances, par plans de coupe, comme au cinéma. Il n’est pas soliste, il est réalisateur. Le triomphe est mérité car l’intelligence de cette écriture associe totalement l’orchestre (et surtout ses différents pupitres) au quartet pour non pas produire le trop souvent dégoulinant jazz orchestral, mais bien une musique rare et dans l’interaction vive.
L’autre grande soirée présente le groupe américain Irreversible Entanglements, un ensemble hétéroclite de musicien·nes activistes qui foncent tête baissée. Sans marquer de pause, la musique compacte et dense, colorée est envoyée dans la salle. Seules les déclamations poétiques et politiques de Camae Ayewa semblent faire le lien entre le public et le groupe. De nature cyclique et étirée, la musique finit par retomber et perdre de son énergie. Devant une salle qui semble s’endormir, le groupe prend un virage aussi soudain que nécessaire et se lance dans une rythmique dansante, afro-cubaine et énervée. La salle se réveille, Ayewa harangue la foule et provoque les corps, certains sont pris de mouvement et rapidement le devant de la scène se remplit de danseur·euses. Le concert est sauf, il était moins une.
- Louise van den Heuvel © Anneka Robeyns
La dernière soirée Jazz re:freshed rassemble un double plateau de la scène londonienne. Les deux groupes prévus (Jas Kayser et Daniel Casimir) ont été remplacés par celui du pianiste et chanteur Ashley Henry et autour du claviériste DoomCannon, une « famille » de jeunes musicien·nes. La musique de Londres est souvent la même, héritée du jazz et du funk des années 70, avec des cuivres en boucles et des rythmes syncopés. Si la surprise n’est pas au rendez-vous, l’énergie et l’enthousiasme sont présents.
Le pari de ce genre de festival c’est de devenir une destination de confiance
Côté belge, on note les performances réussies du trio de garçons De Beren Gieren qui présente un septième album, avec cette recette qui fonctionne toujours consistant à mélanger électronique et l’acoustique sur de courtes séquences pleines d’espièglerie. Moins sages et plus bruyants, les trois membres du groupe Dishwasher ont secoué les murs du lobby pour le grand plaisir des danseuses et danseurs du soir. La bassiste électrique Louise van den Heuvel est particulièrement remarquable et son nom ne cesse de circuler dans les milieux autorisés comme on dit.
Le festival dure 9 soirées, il est facile d’en choisir quelques-unes pour se faire plaisir, mais pour cette édition encore, les salles étaient pleines. Le pari réussi de ce genre de festival organisé par un lieu, dans un lieu, c’est de devenir une référence, une destination de confiance. Peu importe l’édition, en janvier, on va à Flagey, sans hésiter. Maarten Van Rousselt, le programmateur, est parvenu à ce résultat.