
Nica Live Special et Winterjazz Cologne 🇩🇪
Les deux soirées se déroulent à Stadtgarten, le lieu emblématique du jazz dans la ville.
Pour la troisième année consécutive, rendez-vous est pris à Cologne pour assister à un double évènement, la soirée de présentation des projets soutenus par le dispositif NICA et la soirée Winterjazz, gratuite et prise d’assaut par la jeunesse locale.
- Emily Wittbrodt ensemble © Niclas Weber
Cette année, sept lauréat·es forment le nouveau contingent d’artistes à suivre et iels présentent quelques titres de leurs compositions, à raison d’une vingtaine de minutes par mini concert. La salle est remplie d’un public attentif, composé en grande partie de professionnel·les du jazz européen.
En ouverture, c’est le groupe d’Emily Wittbrodt – wearing words qui présente une série de morceaux ciselés, à l’écriture très française et d’inspiration presque baroque. Avec les partitions devant les yeux, l’improvisation se fait rare et l’instrumentation singulière donne une sonorité unique à l’ensemble : voix, clarinette, violoncelle, accordéon, piano, clavecin et batterie. La voix claire et la diction de Sandro Hähnel, les volutes maîtrisées de la clarinettiste Shabnam Parvaresh et les incises feutrées de la compositrice Emily Wittbrodt réjouissent et rendent cette musique assez éclatante.
Le solo suivant, au saxophone, percussions et effets, est signé Jonas Engel. Assis au centre de la scène du club Jaki, il fait usage de techniques étendues au sax et mêle les effets pour un rendu convaincant mais déjà vu. Cela m’évoque le solo de Julien Desprez, mais au sax.
La grande scène accueille un orchestre solide réuni par la flûtiste Jorik Bergman qui propose un arrangement de pièces de Julius Eastman, dont « Stay On It » et « Feminine ». On connaît la rigueur de la musique d’Eastman, minimaliste et répétitive, et les expériences pour la jouer, comme celle des Ensembles 0 et Aum. Ici, l’expression est plus relâchée, plus chaloupée même, comme si Eastman était au bord de la plage. Sans rien lâcher de l’écriture en dentelle, les arrangements donnent plus de place à l’énergie et le plaisir.
- Felix Hauptmann Serpentine © Niclas Weber
Puis Fabian Dudek (flûte, saxophone) présente son trio Recent avec Ruth Goller à la basse électrique et Kate Gentile à la batterie. C’est un bon jazz punk, bien éclaté et ouvert, entraînant et carré, qui ne perd rien de l’improvisation.
Nouveau grand ensemble, celui du pianiste Felix Hauptmann Serpentine. On y retrouve la flûtiste Jorik Bergman et le saxophoniste Fabian Dudek. L’écriture est libre et énergique, la place est laissée aux musicien·nes pour s’exprimer (on retient le jeu délié de Samuel Mastorakis au vibraphone) et les arrangements proposent une grande dynamique et de belles couleurs. Décidément, ce pianiste allemand est de plus en plus inspiré.
- Stefan Schönegg trio © Niclas Weber
Pour le dernier concert, il fallait choisir entre deux et j’ai préféré aller dans la belle église Kristuskirche, modernisée et insérée dans un ensemble architectural qui combine nef et logements. Ici, à l’abri de la fureur du monde, le trio « Enso : On the Withered Tree a Flower Blooms » composé de son leader contrebassiste Stefan Schönegg, de la pianiste Marlies Debacker et, à la caisse claire frottée, Etienne Nillesen. Presque une heure de drone music, avec une acoustique qui produit des harmoniques flottantes, une lumière blafarde et une chaleur intérieure apaisée, c’est un voyage. À l’archet sur la contrebasse, avec des dispositifs vibratoires au piano, en frottant la peau de la caisse claire, les trois musicien·nes produisent ces sons pleins, étirés, infinis et combinés qui enveloppent tout et résonnent dans les murs et dans les têtes. Magnifique expérience.
Le lendemain, comme les années passées, le complexe de Stadtgarten est envahi par une foule avide de musique. Cette année, le club Z, de l’autre côté de la rue, fait aussi partie des scènes et avec son sous-sol et son balcon, c’est un endroit étonnant pour écouter de la musique.
- Club Z © Niclas Weber
Il est difficile de se frayer un chemin d’une salle à l’autre pour tenter d’entendre (écouter, c’est hors d’atteinte) les groupes programmés. Il y a pourtant de belles choses, des expériences intéressantes. La plupart des musicien·nes vient de Cologne ou ses environs. Depuis 14 ans, les deux programmatrices Angelika Niescier et Ulla Oster dénichent des musiques qui vont d’expériences jazz-rock à l’électronique, du funk au jazz modal, tentant de balayer le plus largement possible. Le succès est au rendez-vous. Parmi les propositions, j’en retiens deux. Le Sheen Trio, avec la clarinettiste Shabnam Parvaresh, entendue la veille, Ula Martyn-Ellis (guitare) et Philipp Buck (batterie). Et l’ensemble du trompettiste Mathias Schriefl, Shreefpunk qui, sans créer la surprise car il existe depuis presque vingt ans, propose chaque fois un regard décalé et roboratif sur le jazz et les musiques en général.
L’année 2025 est lancée et la ville de Cologne se démarque vraiment avec sa scène spécifique et une émulation partagée.