Chronique

Fail Better !

The Fall

Luís Vicente (tp), Marcelo dos Reis (g), José Miguel Pereira (b), Albert Cirera (ts, ss), Marco Franco (dms, fl)

Label / Distribution : JACC Records

« Fail Better ! », c’est ce gimmick de Beckett qui traduit bien le mot d’ordre et de désordre de nos musiques improvisées. Depuis 2016 et un premier album remarqué, c’est aussi un orchestre bicéphale ou le trompettiste Luís Vicente, reconnaissable entre mille dans ses projets, et le guitariste Marcelo Dos Reis font parler la poudre. Inséparable, le duo lusitanien revient avec The Fall, second album qui marque une collaboration régulière comme on a pu notamment le remarquer avec In Layers, à la démarche assez similaire. Autour, les membres du quintet sont variables, renouvelés entièrement, jusqu’au batteur Marco Franco qui se place au point de fusion de l’orchestre. Dans The Fall, on retrouve notamment Albert Cicera, entendu dans le Zlatko Kaučič quintet. Le saxophoniste est remarquable ici dans son travail de maillage et de relief au cœur du morceau « Rise Up » où la coalition guitare/trompette est prompte à l’incandescence.

Inscrit dans une certaine tradition free, Fail Better ! ne s’enferme pourtant pas dans une esthétique ou dans le moindre carcan. La marque de fabrique de Dos Reis et Vicente, c’est de tresser de denses canevas et de travailler la multitude et l’épaisseur, la multiplicité des voix qui s’impose comme une masse patiemment travaillée, mais où chaque détail se perçoit et compte autant que l’ensemble. C’est exactement la recette de « Skyfall », où la guitare de Dos Reis tient un riff hâve et entêtant autour duquel les soufflants s’agitent, multipliant les anicroches avec la batterie de Franco et la contrebasse très sèche de José Miguel Pereira. The Fall est un tourbillon que nous scrutons comme un précipice.

Il ne faut cependant pas songer qu’il n’y a qu’une forme de chaos patiemment construit dans ce second album de Fail Better !. « Down Under », malgré ses détonations irrégulières, est une détente soudaine, un relâchement, comme une sidération qui fait suite à la confusion, quand on s’aperçoit qu’il faudrait presque rien pour que cela s’embrase de nouveau. Enregistré en 2017, ce disque de Dos Reis et Vicente est davantage qu’un simple document sur la vigueur de la scène portugaise. C’est aussi un dispositif de tension très élaboré que nous propose Jacc Records.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 octobre 2021
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