Entretien

Fidel Fourneyron

Rencontre avec un musicien pour qui la joie de jouer n’est pas une simple posture.

Si un musicien mérite de refléter à la fois son instrument et la vigueur de la scène hexagonale actuelle, c’est bien Fidel Fourneyron. Lorsqu’on pense trombone, peu de noms viennent naturellement, et le musicien landais arrive dans les premiers cités. Suractif et généreux, Fidel est un artiste recherché dans les orchestres en grands formats, à commencer par l’Orchestre National de Jazz d’Olivier Benoit mais aussi le Umlaut Big Band. Cela ne l’empêche pas de mener de front une solide carrière de leader ou de coleader au sein du trio Un Poco Loco ou des tous nouveaux Animal et ¿ Que Vola ?, qui lui tiennent très à cœur. Rencontre avec un musicien pour qui la joie de jouer n’est pas une simple posture.

- On ne va pas faire l’affront au lecteur de vous demander de vous présenter, vous faites partie désormais des figures du jazz francophone... Mais pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?

J’ai commencé la musique enfant, au hasard, dans l’école associative d’un petit village des Landes. J’ai appris dans les fanfares, les orchestres d’harmonie où la musique est synonyme de lien social. Je suis venu à étudier le jazz finalement assez tard ; je me souviens d’une de mes premières expériences quand Sylvain Darrifourcq et Paul Lay m’avaient proposé de rejoindre leur groupe au lycée… Ça s’est précisé quand je me suis installé à Paris il y a une dizaine d’années pour étudier au CNSM. J’y ai appris et découvert des tas de choses, notamment auprès de musiciens de mon âge avec qui j’ai gardé des liens très forts et avec qui je joue toujours beaucoup. 

Fidel Fourneyron

- Pourquoi et comment le trombone ?

Quand il a fallu choisir son instrument après la première année de solfège, mon professeur m’a dit que ça serait bien que je joue du trombone parce qu’il en manquait à l’orchestre, j’ai accepté en gentil garçon. J’ai mis longtemps à admettre que je jouais le même instrument que le type dans Blue Train que mon père écoutait souvent.

- C’est une question qu’on pose -la même a été posée à l’altiste Frantz Loriot !- parce que c’est un instrument souvent considéré comme réprouvé, ou négligé dans les orchestres. Est-ce toujours le cas, ou c’est devenu une légende ?

L’instrument a quand même une place de choix dans la musique acoustique ! Les mariages avec l’électricité et l’électronique me séduisent moins en général, c’est pourquoi je développe essentiellement des projets avec peu ou pas d’amplification ; c’est dans ce contexte que je me sens le mieux jusqu’ici.
Ce n’est effectivement peut-être pas l’instrument idéal pour devenir une star, mais il possède une palette de timbres et une expressivité irrésistibles ; pour moi certaines interventions de Nanton chez Ellington, Knepper chez Mingus ou Roswell Rudd avec Carla Bley font partie des sons qui ont façonné le vingtième siècle. 
Et je me sens plus épanoui que réprouvé avec mon trombone !

Je ressentais le besoin de faire ce solo pour fouiller en moi et aller plus loin dans la fabrication de mon discours en me privant de l’interaction avec l’autre, sans qui je n’avais jamais vraiment fait de musique auparavant ; je me suis senti plus solide en retrouvant le jeu à plusieurs par la suite.

- Vous utilisez l’instrument de manière très étendue, parfois même en détournant la coulisse. Est-ce un instrument dont on peut tout faire ? Est-ce un aspect que l’on prend en compte quand on travaille un solo comme High Fidelity ?

J’essaie de trouver de nouvelles façons de faire sonner mon instrument, en utilisant des sourdines (ça se fait depuis 100 ans..) mais aussi des techniques plus personnelles. Faire des concerts et un disque en solo était une bonne occasion de développer ce vocabulaire, j’avais envie d’orchestrer au maximum mes possibilités sonores sur l’instrument, seul et sans « artifices ». 
Je ressentais le besoin de faire ce solo pour fouiller en moi et aller plus loin dans la fabrication de mon discours en me privant de l’interaction avec l’autre, sans qui je n’avais jamais vraiment fait de musique auparavant ; je me suis senti plus solide en retrouvant le jeu à plusieurs par la suite.

- Une dernière question sur le trombone, quelles sont vos principales influences à l’instrument ? Parmi vos pairs actuels, lesquels sont à suivre ?

J’ai beaucoup écouté notamment les trombonistes ellingtoniens, Jay Jay Johnson, Frank Rosolino, Roswell Rudd et George Lewis. Plus proche de moi il y avait Yves Robert et Glenn Ferris, qui m’a bien sûr beaucoup marqué quand j’étudiais avec lui au conservatoire. Il y a énormément d’excellents jeunes trombonistes ; Robinson Khoury est incroyable, et il faut écouter aussi mon cadet du Sud-Ouest Michaël Ballue ; Samuel Blaser fait une très belle carrière aussi bien sûr. Il y en a beaucoup d’autres..

- Vous êtes membre de l’ONJ, mais aussi du Umlaut Big Band ou de Radiation 10... D’où vient cette gourmandise des grands formats ?
Adolescent j’aimais beaucoup les orchestres de Carla Bley, notamment Escalator Over The Hill ou Ballad Of The Fallen, et les voix de Roswell Rudd et Gary Valente m’ont beaucoup influencé. J’aime tenir cette place de ténor dans l’orchestre ; la dynamique, le lyrisme et l’humanité du trombone lui permettent d’influer sur la direction de la musique avec peu de choses.

J’ai de sacrés souvenirs musicaux en grandes formations, Radiation 10 bien sûr, ou le Tower/Bridge de Marc Ducret, et beaucoup d’autres. Je suis très heureux aussi dans le Umlaut Big Band ; la sensation de bien-être qu’on peut éprouver dans un grand ensemble quand tout le monde participe a un son avec une intention commune est difficilement descriptible, ce sont des moments grisants et précieux.

Fidel Fourneyron

En cherchant le contraste, j’ai eu envie dans mes projets personnels de formations plus restreintes, d’aller vers des choses plus intimes avec plus de liberté. Mais c’est vrai que du fait de mon parcours j’ai un fort attachement aux grands groupes : l’orchestration est un axe important de mon travail que je développe dans ¿ Que Vola ?, mais aussi dans la Fanfare au Carreau, un gros orchestre amateur que je dirige et dont je compose le répertoire. Je suis très attaché à ce projet, on est en résidence au Carreau du Temple à Paris depuis quatre ans maintenant, c’est à la fois un laboratoire et une nouvelle famille. J’aime écrire de la musique pour les grands orchestres, j’espère pouvoir continuer longtemps.

- Le corollaire, c’est que vous êtes très demandé, souvent invité. Lorsqu’on regarde votre discographie, on constate que vous ne rejetez rien, du plus expérimental au plus classique. Qu’est-ce qui vous motive dans cette multiplication des projets ?

J’aime la musique ! Ces dix dernières années j’ai participé à énormément de projets, j’avais besoin d’expérimenter, de découvrir des personnalités, des façons de penser et de faire vivre la musique.
J’ai beaucoup appris en étant confronté à toutes sortes de situations, ça m’a permis de savoir vers où je voulais aller et ce que je voulais éviter, musicalement, humainement, sur les manières de travailler… Je n’accepte pas pour autant toutes les propositions : j’aime les démarches sincères et j’essaie de prendre les bonnes décisions.
Aujourd’hui je consacre la majorité de mon temps à faire vivre mes propres formations et mon agenda s’organise assez différemment, avec des avantages et des inconvénients.

- Néammoins, on sent un attachement profond, au delà de tout, à l’histoire du jazz et même à ses racines blues. Avec Un Poco Loco, vous visitez même ce patrimoine, comme pour mieux le faire vôtre. C’est votre jardin secret ?

Oui bien sûr : j’aime beaucoup le jazz et je suis attaché à ses traditions, comme Geoffroy Gesser et Sébastien Beliah, deux vieux complices avec qui on a constitué ce trio autour d’une envie de perpétuer la tradition du standard comme point de départ pour développer une musique personnelle.
Ce patrimoine est une excellente source d’inspiration, et je crois que travailler la « re-composition » dans ce cadre m’a aidé à m’affirmer comme compositeur dans mes projets plus récents.

On va bientôt fêter le centième concert de Un Poco Loco ! On a une complicité humaine et musicale précieuse, et c’est un groupe avec lequel j’ai envie de travailler dans la durée. On commence à travailler sur Ornithologie, un troisième répertoire autour de la musique de Charlie Parker.

J’aime la musique ! Ces dix dernières années j’ai participé à énormément de projets, j’avais besoin d’expérimenter, de découvrir des personnalités, des façons de penser et de faire vivre la musique.

- Du Jazz à la musique afro-cubaine, il y a souvent qu’un pas... Vous êtes fortement investi dans le projet ¿ Que Vola ? depuis de nombreuses années. Pouvez-vous nous présenter l’orchestre et ce nouvel avatar ?

C’est un orchestre que j’ai monté avec le contrebassiste Thibaud Soulas, dans lequel on invite 3 percussionnistes de rumba de La Havane à rencontrer un septet de musiciens français, dont 4 issus de Radiation 10 (Hugues Mayot, Aymeric Avice, Bruno Ruder et moi), et d’autres amis de longue date (Benjamin Dousteyssier, Elie Duris et donc Thibaud à la contrebasse). 
Nos invités sont les leaders de Osaín del Monte, un jeune groupe de rumba dont on parle beaucoup à La Havane, ils sont vraiment incroyables à entendre et à voir ; une de nos principales motivations était de faire connaitre ces musiciens et ces traditions sur la scène européenne. 
Notre envie était de confronter ces cultures, différentes mais aux racines communes, autour des fruits de nos recherches dans les musiques de transe afro-cubaines, aussi passionnantes que méconnues en France. On joue des compositions inspirées de chants traditionnels cubains, profanes et sacrés (issus de la santería). On cherche à créer une musique simple, aventureuse et vivante.
La production de ce projet était très complexe, on est d’autant plus ravis de ce qu’on a fait et de qui est à venir : on fait une tournée et un disque en mai prochain, j’ai hâte !

- On a le sentiment qu’il y a une réflexion globale, un lien esthétique fort entre Un Poco Loco et ¿ Que Vola ? Y-a-t-il un sentiment de continuité entre ces orchestres ?

Pas forcément, à part les noms aux sonorités latines. Un Poco Loco a un rapport assez lointain et distancié aux musiques cubaines, on s’intéresse au répertoire américain ; le point de départ c’est simplement cette composition de Bud Powell et les expérimentations de métissages du jazz d’après-guerre dont on essaie de faire autre chose.

¿ Que Vola ? c’est une rencontre avec traditions afro-cubaines telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui, l’envie n’est pas de prendre de la distance par rapport à ce sujet, mais au contraire d’en être le plus proche possible.

- Dans votre nouveau trio, Animal, avec Sylvain Darrifourcq et Joachim Florent, cet attachement au blues perdure, vous lui redonnez même un aspect plus féroce. Pouvez-vous nous parler de la démarche de l’album ?

Ca faisait longtemps que j’avais envie de m’essayer à cette formation avec basse-batterie. Ca s’est concrétisé au détour d’une conversation avec Sylvain ; j’admire son travail, son exigence et son entièreté. Il m’a encouragé à monter ce trio, et on a tout de suite pensé à Joachim Florent ! Ils n’avaient jamais joué ensemble, et ça a très bien fonctionné entre eux. J’ai laissé mûrir mes idées en faisant quelques essais de temps en temps, et on a accéléré les choses à l’automne dernier. 
Le fait de jouer avec une contrebasse et une batterie m’a tout de suite positionné dans un rôle de soliste. C’est complètement différent de Un Poco Loco, en trio aussi pourtant. J’ai trouvé ma place dans la composition et dans l’improvisation en m’imaginant plus chanteur qu’instrumentiste ; dans ce sens, l’univers du blues collait bien à mon instrument et à mon caractère. J’ai cherché à composer et à orchestrer des pièces autour de cette idée. Le nom Animal et l’idée d’un bestiaire ésopien m’ont aidé à aller plus loin dans les contrastes et les caractères de notre musique, tout en donnant un aspect léger au propos, dans lequel je me retrouve.

- Y’a-t-il un besoin de retrouver une certaine dose d’animalité dans votre jeu ?

Si en travaillant en solo sur High Fidelity j’ai cherché de nouvelles façons de jouer de mon instrument, Animal m’a poussé à aller vers quelque chose de plus simple, brut et instinctif. J’écoute aussi en ce moment beaucoup de musiques traditionnelles, moins axées sur des préoccupations harmoniques ou de traitements sonores que notre scène contemporaine, au profit de la mélodie et du rythme. J’y trouve sincérité et fraîcheur, et énormément de choses à travailler.

- Ce disque va être soutenu dans le cadre de l’ONJ’Fabric. Qu’est-ce que ce passage à l’ONJ vous a apporté ?

J’y ai rencontré et j’y côtoie de très belles personnes ; participer à cet orchestre m’a aussi permis d’être repéré par le public et par des acteurs du monde de la musique dont j’avais plus de mal à attirer l’attention auparavant.. Ce qui a le plus compté, c’est la possibilité offerte à chacun de développer une petite formation soutenue par l’ONJ : ça m’a permis de prendre confiance pour monter mes propres projets, c’est comme ça qu’a débuté mon trio Un Poco Loco. C’est très épanouissant d’inventer et de faire vivre un groupe, c’est quelque chose que je n’osais pas faire auparavant, je crois que maintenant je ne pourrais plus m’en passer.

- Vous avez été proche du collectif COAX (les musiciens d’Animal aussi), vous avez collaboré avec Papanosh chez les Vibrants Défricheurs, et pourtant vous n’avez jamais formellement fait partie d’un collectif. Quelle est votre approche de cette question ?

Je collabore aussi beaucoup avec le collectif Umlaut ; ces collectifs ont été fondés par des musiciens au début de leur vie professionnelle, qui je crois ont ressenti le besoin de se rassembler pour être plus visibles et mieux organisés, pour arriver à faire vivre leurs groupes dans un environnement difficile ; c’est beau de les voir grandir ensemble. Pendant ce temps j’ai choisi un parcours de sideman, me consacrer « simplement » à la pratique de mon instrument me suffisait. C’est aussi une histoire de caractère, tout le monde n’est pas forcément fait pour ce genre d’organisation, les prises de décisions collégiales… J’aime avoir ma liberté.

J’ai depuis quelques années monté ma propre structure dans mes Landes natales pour mener à bien mes projets et je me retrouve pour l’instant plus dans cette organisation, on verra bien comment tout ça évoluera !

- Quels sont les projets à venir, voire les envies ?

Le disque de Animal va sortir au mois de mai ; au même moment on enregistrera l’album de ¿ Que Vola ? qui sortira sur l’excellent label Nø Førmat, dont j’aime beaucoup l’esprit et le travail. Je suis ravi de cette collaboration, qui laisse présager de belles aventures, et des concerts.
Une nouvelle création avec Un Poco Loco à l’automne prochain, et une envie aussi de travailler avec le chant lyrique et le texte, en creusant du côté des musiques anciennes, je commence à réfléchir à quelque chose pour 2019.
Je vais être aidé pour tout cela par le Petit Faucheux, un lieu capital pour le jazz en France qui m’a proposé d’être artiste associé pour les deux prochaines années. C’est une grande chance de bénéficier de ce type de soutien, quel luxe de pouvoir envisager des choses folles en sachant qu’elles auront lieu !