Chronique

Free Human Zoo

The Mysterious Island

Gilles Le Rest (dms, voc, comp), Laurent Skoczek (tb), Matthieu Metzger (as, ss), Bela Bluche (b, elb), Alexis Delva (g), Camille Petit (p, kb) + Marie-Caroline Revranche (voc), Stella Vander (voc), Jocelyn Mienniel (fl), Marcus Linon (voc).

Label / Distribution : Odusseia / L’Autre Distribution

Il est assez simple d’exposer les raisons de l’attachement que suscite la musique de Free Human Zoo. Nous en avons rendu compte ici même, lors de la parution de Freedom Now ! (2017) et No Wind Tonight (2019). Ce groupe emmené par Gilles Le Rest est mû par une force intérieure mêlant, à un onirisme en filigrane duquel se dessinent des rêves qui puisent à la source de l’enfance, une pulsion incantatoire héritière du courant Zeuhl fondé par Magma à la fin des années 60. La spiritualité de Coltrane n’est jamais loin en esprit, Bartók et Stravinsky non plus, dans cet ensemble aux couleurs d’un jazz rock contemporain et pleinement incarné.

The Mysterious Island est la réalisation la plus transversale de Free Human Zoo, en ce qu’elle s’appuie sur quatre piliers définissant un ensemble cohérent, par une connexion musico-littéraire. Si le point de départ est l’œuvre de Jules Verne, il y a aussi le roman de Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique. Auxquels s’ajoutent la série télévisée de Juan Antonio Bardem au début des années 70, et sa musique signée Gianni Ferrio. Rêve, mystère, aventure humaine, explorations des espaces géographiques et des possibles de l’âme humaine, tel est le programme de ce périple musical, poétique autant que philosophique.

Si l’histoire est ici racontée en quatorze chapitres, il va de soi qu’une telle division ne constitue qu’une série de repères au long d’une suite ininterrompue qu’on écoute avidement, pris par le désir de connaître le terme d’un voyage dont on reviendra dans un état d’éblouissement. La première partie très aérienne (portée notamment par la voix de Stella Vander) reprend à son compte le thème originel de Gianni Ferrio avant de céder progressivement la place à une longue scansion hypnotique commençant par une « Éternelle ascension » qui trouvera sa résolution dans une martiale « Nef des hommes de l’ombre ».

La magie de cette construction opère durant une heure, bien servie par une formation compacte dont les deux piliers (Gilles Le Rest, batteur polyphonique et habité mais aussi chanteur, et son complice tromboniste Laurent Skoczek) sont entourés d’un groupe en grande partie renouvelé. Parmi les arrivants, notons en particulier les interventions brûlantes d’Alexis Delva (du groupe Anaïd) à la guitare et de Matthieu Metzger (qui remplace Samy Thiébault) aux saxophones.

Vivace comme le lierre grimpant sur un mur de vieilles pierres chauffées par le soleil, mélancolique et entêtante à la fois, savante et accessible, la musique irisée de Free Human Zoo affirme sa singularité année après année. Il est temps de lui ouvrir la porte : les explorateurs ne sont pas si nombreux.