Chronique

Guillaume Grenard

Nosferatu, une symphonie de l’horreur

Guillaume Grenard (comp), Clémence Cognet (vln, voc), Colin Delzant (cello), Christophe Gauvert (b).

Label / Distribution : ARFI

Guillaume Grenard est un trompettiste de jazz qui ne doit pas aimer tant que ça la trompette. On en veut pour preuve que l’un des ses disques les plus brillants, le Nadja Sextet, était consacré à la clarinette basse et qu’il réitère ici l’aventure avec des cordes. Mais comme, de Dark Poe à InDOLPHYlités, ce membre émérite de l’ARFI a montré qu’il lui arrivait de jouer admirablement de son instrument, il faut se rabattre sur une seconde hypothèse : Grenard est un compositeur qui aime jouer avec les codes, la littérature et le cinéma. À ce titre, la partition qu’il écrit en référence au bijou d’expressionnisme allemand réalisé par Murnau en 1922 est un formidable exercice qu’il confie à un trio de cordes familier. Clémence Cognet au violon, Colin Delzant au violoncelle et Christophe Gauvert à la contrebasse jouent avec lui dans La Marmite Infernale. Dans « Le Dernier Examen », passent dans la partition toutes sortes d’images et d’hommages, sans pour autant se délayer dans la joliesse coutumière et assommante des bandes originales actuelles, préférant de loin la Seconde École de Vienne.

Car Nosferatu s’inspire grandement des ciné-concerts, ce que la vénérable ARFI propose depuis presque un demi-siècle. Il crie son amour immodéré du cinéma. C’est aussi une offrande à Dracula, un des personnages les plus fascinants du cinéma par sa dualité et sa complexité. À l’écoute de « Par-delà le mur du sommeil », dans le violoncelle de Delzant montent quelques brumes de l’adaptation du roman de Bram Stoker par Coppola en 1992. Plus loin, Clémence Cognet psalmodie quelque chose d’une complainte nocturne de Wilhelmina Harker. Ce disque n’est pas à proprement parler un score pour le film de Murnau ; on peut conseiller de le regarder en même temps, le climat s’y prête. Mais c’est avant tout une galerie de portraits dont Grenard a tiré une substantifique moëlle : l’esprit du film.

Dans la partition d’une rare élégance de Grenard, de nombreux clins d’œil passent. Ils sont parfois conscients, comme ce salut respectueux au Dracula de Phillip Glass qui s’inspirait, lui, du film de Tod Browning de 1931. Ils se révèlent plus inconscients lorsque s’égrènent au violoncelle ces quelques notes empruntées à Harry Potter, presque arrivé à dix minutes de « L’Étrange Maison haute dans la brume » [1]. Nosferatu c’est Voldemort ? Un parti pris intéressant. Et un voyage sans boussole au doux pays du cinéma. Disons-le sans prendre de gants : Guillaume Grenard est un musicien hors norme.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 juin 2023
P.-S. :

[1À neuf minutes trois quart, quoi…