Chronique

IKIRU

Plays Satie

Fabrice Theuillon (ts), Yvan Robilliard (p, Moog)

Label / Distribution : Collectif Surnatural Orchestra

L’alchimie poétique qui irradie ce disque est quasi baudelairienne. L’apaisement généré par l’œuvre d’Erik Satie appelle à une forme de transmutation initiée par Fabrice Theuillon et Yvan Robilliard. Ils nous conduisent à découvrir un monde où la confrontation avec l’inconscient se fait de façon naturelle.

La « Gymnopédie n° 1 », les « Gnossiennes n° 2 et n° 4 », les « Nocturnes n° 1 et n° 3 » maintes fois entendues ressuscitent de manière inespérée ; le souffle qui émane du saxophone ténor est plus qu’une expiration mûrement réfléchie, ce sont précisément des flux où la douceur et l’impétuosité s’entremêlent sans rupture stylistique. Il y a du Stan Getz et du Lester Young chez Fabrice Theuillon, son âme parle avant tout. Sa complémentarité de longue date avec Yvan Robilliard produit un merveilleux unisson qui enveloppe tout l’album d’une apesanteur magique. Subtilement, le pianiste intervient discrètement de temps à autre avec son synthétiseur Moog, à la manière d’Yvonne Loriod lorsqu’elle découvrait les ondes Martenot.

De nombreuses allusions solennelles prennent corps dans ce disque, nous rappelant combien Léon Tolstoï avec son roman La Mort d’Ivan Illitch avait inspiré Akira Kurosawa qui nomma son superbe film de 1952 Vivre (IKIRU en japonais). Cette histoire bouleversante d’un modeste fonctionnaire tokyoïte qui va se métamorphoser lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’une grave maladie n’est pas pour rien dans la construction sonique de cet album.

Ici sont conjuguées des expérimentations microcosmiques qui apportent le renouveau créatif et indispensable à la mutation des musiques d’Erik Satie. Doit-on rappeler que cet immense compositeur, qui maniait aussi bien l’humour que l’écriture musicale, vécut dans une extrême pauvreté sans rien en dévoiler à quiconque ? Ce fait est révélateur à plus d’un titre de l’humilité teintée de mélancolie qui habitait Satie.

En tant qu’éminent créateur, Fabrice Theuillon n’a pas seulement rendu hommage à un artiste majeur, il a su y intégrer sa ferveur musicale ici magnifiée par un processus de métamorphose qui atteint une dimension spirituelle fascinante.