Sur la platine

Pandelis Karayorgis : Boston Athènes Party

La féta, la maison !


Pandelis Karayorgis © Jean-Michel Thiriet

Commencée dans les années 90, la carrière de Pandelis Karayorgis est une affaire de fidélité. Grand amateur de trios comme nous l’avons expliqué dans notre chronique de Cliffpools, on retrouve à ses côtés le contrebassiste Nate McBride depuis près de trente ans. C’est également avec un proche, le saxophoniste Jorrit Dijkstra, qu’il a fondé le label Driff Records où paraît la grande majorité de ses albums depuis plusieurs décennies. Vingt ans après son solo Seventeen Pieces chez Leo Records, quel est le matériel sur lequel travaille Pandelis Karayorgis ? Petit tour d’horizon de ses dernières parutions, antérieures à Out From Athens, son dernier duo.

La collaboration entre le saxophoniste Dave Rempis et Pandelis Karayorgis est ancienne : voici plus de dix ans que le premier a participé au Karayorgis Quintet, véritable panorama chicagoan de la décennie passée avec Keefe Jackson à la clarinette basse ou Frank Rosaly à la batterie, bien que Rempis et Karayorgis soient tous deux davantage connectés à la ville de Boston. On écoutera Circuitous, une des premières références du label pour s’en convaincre. [1]

C’est en coproduction avec le label Aerophonic Records de Rempis que paraît Truss, nouvel confrontation entre les deux musiciens aux origines grecques. Le quartet de Truss est une affaire de générations puisque la jeune base rythmique est composée du contrebassiste Jakob Heinemann et du batteur Bill Harris qui font leur première apparition sur ces labels. Très à l’aise en trio où son approche rythmique du piano permet un jeu nerveux, c’est ainsi que Karayorgis envisage Truss. La longue pièce « Stone Fruit » est l’occasion pour lui d’entraîner la batterie dans un jeu orageux où l’archet de la contrebasse fait office de fil d’Ariane. Ostinati nerveux contre frottement des cymbales, le morceau est un maelström où Dave Rempis pénètre avec autorité, notamment à l’alto à la fin du premier tiers de ce très long morceau. D’abord en retrait, le piano vient harceler le saxophone et l’effervescence le dispute au chaos. C’est Heinemann qui tient la ligne de fracture avec autorité, permettant au quartet de rester sur la crête. Touffu et joyeux, Truss est un beau témoignage d’une musique virulemment libre qui s’inscrit cependant dans la longue histoire du free et des musiques improvisées, et même rattachée à une famille, celle de Ken Vandermark. [2]

On l’a dit, c’est en trio que Pandelis Karayorgis s’est le plus amplement exprimé. Et surtout avec les fidèles Nate McBride à la contrebasse et Luther Gray à la batterie. Son plus récent exemple avec cette équipe est le beau The Hasaan Hope & Monk Project qui plonge directement dans les racines du pianiste. Si l’héritage monkien est d’évidence dans son jeu - « Off Minor » en témoigne, et la belle entrée en matière de McBride -, Elmo Hope et Hasaan Ibn Ali sont peut-être davantage à décrypter. Le point commun est avant tout celui de la vélocité : sur « Epitome », composition d’Ali, le jeu de piano est heurté mais diablement autoritaire.

Si la référence à Elmo Hope est presque aussi évidente que celle de Monk, tant le jeu de Karayorgis est imbibé de références au pianiste de Sonny Rollins ou Philly Joe Jones, celle qui le rattache à Hasaan Ibn Ali est plus inédite à défaut d’être surprenante ; image parfaite de l’outsider aux contours mythiques, son jeu et ses compositions vont comme un gant au jeu très puissant de Karayorgis. « Atlantic Ones », le premier des morceaux d’Ali joués sur ce disque, est amené tout en élégance par un trio très soudé. Le pianiste doit beaucoup au jeu très musical de McBride, et à l’onctuosité de la batterie de Gray lorsque le tempo ralentit comme une brume soudaine. Ce n’est pas la première fois que Karayorgis rend hommage à ses pairs ; on se souvient de The Whammies avec Jeb Bishop, Jorrit Dijkstra et Han Bennink (il y avait déjà McBride à la contrebasse !) [3], mais ici, le projet est infiniment plus personnel et intime. Une très belle visite de l’univers de ce pianiste majeur.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 août 2024

[1Pour en savoir plus sur Driff Records, voir notre panorama paru à l’occasion de l’interview de l’autre figure du label, Jorrit Dijkstra, NDLR.

[2Rempis a joué dans le Vandermark 5 où l’un des morceaux est dédié à Karayorgis, NDLR.

[3Voir notre panorama de Driff Records, NDLR.