
Catalytic Sound Festival 🇺🇸
En 2024, la manifestation déclinée dans différentes villes a réduit sa voilure.
@ Avec l’aimable autorisation de Ken Vandermark
Grâce à l’impulsion de Ken Vandermark, véritable bourreau de travail, Chicago avec ses trois jours était l’événement phare de la version 2024 du Catalytic Sound Festival – New York et Washington proposant une seule soirée. Le collectif espère l’an prochain un retour des Européens (Autriche, Norvège et Pays-Bas), le calendrier des tournées des responsables européens ayant cette année rendu impossible l’organisation de tels concerts.
À Chicago, le Catalytic Sound Festival est devenu un rendez-vous attendu des amateurs de musiques improvisées. L’édition 2024 s’est déroulée du 6 au 8 décembre et a présenté des innovations. Tout commence par un changement de cadre. Par le passé, Elastic avait accueilli la totalité du festival. Cette année, Constellation, sélectionnée en raison de ses capacités technologiques (streaming), a été préférée pour deux soirs, la dernière étape se déroulant au Hungry Brain.
L’autre nouveauté, certainement plus conséquente pour Catalytic Sound, est l’ouverture d’un volet pédagogique. Lancée comme un magasin en ligne entièrement géré par les musiciens membres du collectif, la coopérative a évolué en proposant également une plateforme de streaming. Aujourd’hui s’ouvre une nouvelle étape avec une incursion dans le monde éducatif. Et qui de mieux placé pour inaugurer cette activité que le saxophoniste/clarinettiste Ken Vandermark ? Durant la semaine précédant le festival, il organise trois répétitions avec six lycéens de Lane Tech College Prep High School qui se sont portés volontaires sous la bienveillance de leur professeur, Reed Flygt : Zeke Bradshaw (trompette, bugle), Jenna Cinco (flûte), Danny Falkner (trombone), Alexandrite Kern (saxophones alto et ténor), Henry Landazuri-Mortensen (piano, batterie) et Diego Patino (batterie) ont ainsi pris part à l’aventure.
- Ken Vandermark et les lycéens de Lane Tech @ Virginia Saavedra
Lors du concert, l’orchestre joue des versions enlevées de trois compositions signées Vandermark qui présentent l’avantage d’avoir une structure rythmique bien définie. Leur set se termine par une « conduction » où tout musicien peut à l’aide d’un geste de la main signifier à ses partenaires un changement de direction. Cette dernière pièce est l’occasion pour ces artistes en devenir de mettre en avant leurs qualités d’improvisateurs. Vandermark est d’ailleurs élogieux à leur égard, soulignant que durant les répétitions, ils n’avaient pas hésité à lui faire des suggestions. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une affaire à suivre.
Le festival a pris l’habitude d’offrir à plusieurs musiciens la possibilité de s’exprimer en solo. Cette année, on retient la guitariste Wendy Eisenberg et la violoncelliste Dorothy Carlos. Eisenberg présente deux longues compositions proposant un mélange adroit de techniques et d’idées. Mélodies et dissonances font bon ménage. Des phrases aériennes exécutées à la guitare électrique en utilisant la technique du picking succèdent à des passages à l’état brut dominés par les techniques étendues. Une certaine délicatesse pointe occasionnellement son nez. Par contraste, avec un instrument qui ressemble à un squelette de violoncelle, Carlos s’investit dans un univers corrosif qui peut donner le frisson. Elle utilise également un looper qui lui permet d’enregistrer des sons, tels que les raclements de sa pique sur le sol en béton, qu’elle va ensuite triturer pour produire un fond qui rappelle la musique concrète. Quelques accords occasionnels égrenés lentement laissent un peu de répit. Il en reste une expérience, autant émotionnelle qu’auditive, extraordinaire et intense.
- Elisabeth Harnik et Chris Corsano @ Virginia Saavedra
En termes de révélation ou de confirmation, il faut citer la jeune batteuse Lily Finegan qui a précédemment obtenu de la visibilité en jouant au sein d’Edition 55 et d’Edition Redux, deux formations dirigées par Vandermark. Durant le festival, elle se produit au sein de deux trios. Celui avec Chris Corsano et Ben Hall est le plus passionnant. Alors que tout laissait présager un trio de percussionnistes, Hall décide d’officier avec une platine et différents effets brodant une toile de fond qui permet à ses deux camarades d’un soir de se concentrer sur leur dialogue. Finegan semble avoir trouvé son style, déjouant les attentes grâce une technique conventionnelle maîtrisée avec un calme olympien. Pour sa part, Corsano virevolte sur un assemblage hétéroclite de tambours et de percussions en s’adonnant pleinement aux techniques étendues.
La présence massive de musiciens étasuniens ne doit pas faire oublier que Catalytic Sound est un groupement international. Il faut donc saluer la participation de la pianiste autrichienne Elisabeth Harnik qui se produit dans deux contextes différents. Le premier est Earscratcher, le quartet qu’elle a formé avec le saxophoniste Dave Rempis, le batteur Tim Daisy et le violoncelliste Fred Lonberg-Holm. Ce dernier est un peu le trublion de la bande avec son humour percutant et les grincements jouissifs qu’il extirpe de son instrument. À l’alto, au ténor mais aussi au soprano – un instrument dont il joue depuis que le regretté Mars Williams le lui a légué – Rempis adapte son jeu en donnant davantage de place à l’introspection sans délaisser complètement son côté ravageur. La pianiste alterne des éléments mélodiques et rythmiques ainsi que le jeu au clavier et à l’intérieur du piano. Enfin, Daisy complète le tableau en créant des atmosphères et en jouant un rôle de coloriste. Harnik est tout aussi à l’aise en duo avec le batteur Chris Corsano qui, cette fois-ci, joue sur une batterie conventionnelle. La volonté de ce dernier d’éviter absolument de s’enfermer dans un groove oblige la pianiste à puiser constamment au plus profond d’elle-même.